Un saut d’avion et me voici à Cuba, une destination en total désaccord avec les conseils donnés dans l’article sur le budget pour globe-trotter, mais il fallait que je la vois avant la fin du régime communiste qui risque de ne pas survivre au décès de son fondateur, si décès il y a (m’enfin décès il y aura un jour, a priori c’est presque sûr).
La première chose qui me choque en arrivant de l’aéroport, à part le prix du taxi, c’est l’absence totale de réclame sur les bords de la route ou dans les rues. Pas de pub! Nulle part, ça fait bizarre… A la place, il y a des messages nationaux (certains diront « de la propagande »), des messages très positifs qui vantent l’union de la nation ou l’encouragent à conserver l’espoir. D’autres rappellent que ça fait 51 ans que le régime est en place et qu’on va bientôt fêter le 52ème anniversaire, comme si chaque année qui passe était une nouvelle victoire sur « l’extérieur », le capitalisme qui gouverne toute la planète… Toute? Non, une petite île résiste encore et toujours au dictat du marché, une petite île que ses habitants comparent à… un crocodile. Et là tu te dis qu’effectivement le communisme a fait des ravages: Cuba n’a pas du tout la forme d’un crocodile! Alors quand on te la dessine en vert sur des logos, forcément, tu finis par y croire, mais non, une fois de plus je m’insurge avec courage contre l’oppression des puissants pour vous écrire haut et fort la vérité vraie: Cuba a la forme d’une île.
CENEANPENDANMOINS, j’ai appris, au cours de mon séjour au Mexique, que les Mayas associaient la terre à un crocodile flottant sur de l’eau flottant dans l’espace… Ce peut-il que cette tradition ait traversé le bras de mer qui sépare le Yucatan de Cuba où elle aurait été pérennisée? Les Mayas pensaient ainsi parce que, outre l’usage, répandu dans leur culture, des champignons hallucinogènes, leur terre d’origine était gondolée de collines vertes qui leur évoquaient le dos d’un crocodile géant. Rien à voir avec la forme de l’île de Cuba… Alors quid? Propagande? Mensonge? Churros? Kennedy? Fiesta? Si je vous dis que l’Angleterre s’appelle ainsi parce que, sur les cartes de l’Empire Romain, elle apparaissait dans l’angle nord-ouest vous:
- Zy croyez
- Zen foutez
- Zenvolez
Mais repassons nos moutons.
A Cuba comme à Mexico, comme dans tous les pays créoles que j’ai vus, il y a de jolies couleurs vives partout, notamment sur la carrosserie des vieilles voitures que les Cubains conservent avec affection, peut-être parce qu’il n’y en a pas d’autres pour les remplacer. Il y a de la musique dans les rues, plus variée qu’à Mexico City (où chaque rue a son joueur de « boîte à musique » qui tourne sa manivelle en costume policier), mais moins que dans Bourbon Street, à la Nouvelle Orléans (le rapport à la musique de là-bas m’avait hachement impressionné + au cas où ça servirait à quelque chose de faire la comparaison: mon Maître Kung-fu désapprouverait). On danse surtout à Cuba, c’est ce qui a l’air d’y être le plus particulier: on dirait qu’il y a des écoles de danse cachées derrière les volets de chaque maison.
Je savais, bien sûr (culture G power -j’ajoute que j’ai eu mon bac du premier coup- – cétait il y a 12 ans mais quand même -), que Cuba est communiste, je connaissais les clichés sur les vieilles voitures, la musique et les cigares. Là où je suis surpris c’est que Cuba soit si espagnole, en comparaison du Mexique du moins.
Ce n’est que le deuxième pays d’Amérique latine dans lequel je me rends et je constate que, du Mexique à Cuba, il y a autant de différences que de la Thaïlande au Cambodge ou à la Birmanie; que, bien qu’il s’agisse de « nations nouvelles » (mon erreur est sûrement de les avoir catégorisées comme telles), le Mexique et Cuba sont bien distincts l’un de l’autre alors que j’avais tendance à me les représenter comme des déclinaisons de l’Espagne: c’était oublier que ces pays n’ont été conquis que par une poignée d’Espagnols et que leur essence repose en grande partie sur leur passé précolombien (j’ai trop peu d’expérience ici pour mesurer à quel point).
Au Mexique, mon erreur fut flagrante: les Mexicains ne vivent pas au même rythme que les Espagnols et pour tout dire je ne crois pas que le Mexique serait très différent aujourd’hui si les Espagnols n’avaient pas détruit l’empire Aztèque. Ils ont détruit l’empire, mais les descendants de Ztèque sont toujours là: ils ont adapté leurs traditions au christianisme et l’ancienne culture demeure sous bien des formes, encore renforcée par ce sentiment national qui traite Hernan Cortès de criminel et honore le dernier empereur Aztèque comme un héros.
Mais comme je le disais, Cuba, en comparaison du Mexique, est très espagnole, tout en étant différente de l’Espagne (NB: je suis arrivé hier et je n’ai vu que La Havane ceci dit ^^’). Ce que je veux dire c’est qu’on peut facilement déduire, en passant d’un pays à l’autre, que les Espagnols se sont d’abord installés à Cuba pour partir ensuite à la conquête du continent voisin.
Malgré les couches juxtaposées dessus, Cuba conserve quelque chose de cette époque, et je tenais à le dire haut et fort, malgré le risque, parce qu’on n’en parle jamais.
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C’est l’hiver en ce moment (pareil qu’en Europe, trop fou!) ce qui implique, au Mexique, qu’il fait chaud le jour et froid la nuit, et à Cuba que le temps soit couvert (en fait je n’ai aucune idée du rapport des saisons à la météo, je constate et je relate seulement). Mais ce qui fait très chier surtout, c’est qu’il fasse nuit tôt. Et là je dois reconnaître un gros plus aux étés européens: c’est la durée des jours. Ailleurs dans le monde il fait chaud mais il fait nuit (je crois que tout ça à quelque chose à voir avec les hémisphères gnagna mais on va pas rentrer dans les détails: certains prétendent même que la Terre est ronde – lol comme s’il y avait des crocodiles ronds!).
En tout cas j’apprécie que vous lisiez ce fan-blog dédié à la météo.
Non, là où je voulais en venir c’est qu’à 18h il fait nuit et qu’à La Havane il n’y a pas d’éclairage public, ou si peu, ce qui rend toujours une ville inquiétante lorsqu’on ne la connaît pas. C’est sur ces entre-faits qu’interviennent Francisco et le sosie de Thierry Henry, deux Cubains qui m’ont d’abord proposé de la drogue, puis des filles, puis un café.
D’abord soucieux de me débarrasser de leur compagnie (ce qui s’est avéré impossible) j’ai pris l’occasion de taper la discute et de les interroger sur leur pays.
Je n’étais pas totalement en confiance, dois-je dire, parce qu’ils m’ont posé toutes les questions typiques des mecs qui arnaquent le touriste:
- D’où tu viens? (pour identifier la cible)
- Est-ce que tu voyages seul? (pour évaluer sa vulnérabilité)
- Quel est ton hôtel? (pour évaluer sa rentabilité et la localiser)
Bon, c’est vrai que ce sont aussi les questions de base qu’on pose à n’importe quel visiteur dans n’importe quel pays mais on me la fait pas! Je suis un aventurier en danger moi, merde!
Donc on a parlé de choses et d’autres et rapidement de politique et d’économie, parce que je comprenais pas bien le système monétaire Cubain… Et pour cause, à Cuba il y a deux monnaies : le péso national (appelé « péso ») et le péso convertible (appelé « CUC »).
Vous allez voir, c’est très simple, et si vous avez compris les règles du rugby vous devriez comprendre le système monétaire cubain les doigts dans le nez (c’est le même mec qui les a inventés, un soir de cuite):
26 pésos = 1 CUC = 0,80 euro.
En gros: les pésos sont la monnaie des Cubains (on leur paye leur salaire avec cette monnaie là) et les CUC sont la monnaie des touristes (si tu changes tes euros tu reçois des CUC).
Pour l’instant c’est presque super simple à comprendre, SAUF QUE avec les pesos on ne peut pas tout acheter, alors qu’on peut tout acheter avec des CUC.
C’est à dire que toutes les choses essentielles ont un prix en pesos, alors que les choses non-essentielles n’ont que des prix en CUC.
Je m’explique: la glace à la fraise (un produit essentiel donc), coûte 1 peso. Personne ne précise s’il s’agit du peso convertible ou du peso national. Si tu es Cubain tu la payes avec un péso de ta monnaie nationale, si tu es touriste tu la payes avec un péso de ta monnaie de touriste… Mais en fait tu la payes 26 fois plus cher que le Cubain! Officiellement, le touriste n’a pas accès au péso, et le Cubain n’a pas accès au CUC; officieusement les touristes peuvent s’arranger pour éviter de payer 26 fois le prix cubain et se procurer des pesos nationaux.
Ca c’était pour les produits « essentiels », pour les autres produits et services (comme le restaurant par exemple) il n’y a que des prix en CUC. Ce qui fait que les Cubains doivent se procurer des CUC pour y accéder…
Francisco m’explique que son salaire équivaut à 250 pesos par mois, qu’il additionne au 250 pesos de sa compagne. 350 sont dépensés pour l’électricité, le gaz, l’eau etc. Il leur reste 150 pour la nourriture, ce qui ne suffit pas. D’où le fait qu’une couche de capitalisme se superpose au communisme brut, et que Francisco et Thierry Henry parcourent les rues à la nuit tombée pour vendre leur ganja.
L’autre chose dont ils se plaignent, c’est la liberté d’expression. Effectivement, alors qu’ils m’entraînent vers la Casa de la Musica, et que Thierry Henry, le plus avide des deux, ne cesse de me conseiller plutôt tel ou tel autre club dans des directions très variables (mais toujours incertaines), un flic jaillit de nulle part et demande ses papiers à Francisco… Thierry Henry a disparu à la vitesse de l’éclair: si le flic était superman, je jurerais qu’il est Clark Kent.
Le flic n’est pas de bonne humeur, il a une main sur sa matraque, l’autre au talkie-walkie et pose des questions à Francisco qui n’a pas l’air de se sentir bien du tout… Apparemment c’est pas pour rigoler. Puis le flic s’adresse à moi pour me demander depuis quand je connais Francisco.
Francisco m’avait déjà averti que, dans un cas pareil, il faudrait répondre que je venais à Cuba pour le voir, sans quoi il risquait des problèmes (les Cubains n’ont apparemment pas le droit de parler aux étrangers qui ne viennent pas expressément les voir).
J’ai répondu que je connaissais Francisco depuis que je le connaissais (ça faisait une heure environ) ce qui n’est pas très sympa pour Francisco mais pas très con non plus vu qu’il m’avait d’abord abordé pour m’engougnafer avec sa belle-fille de dix-neuf ans et que je le soupçonnais de vouloir me tabasser avec une barre de fer au prochain coin de rue… Des fois qu’il ait un casier de serial killer autant ne pas le déclarer mon meilleur ami tout de suite.
Sur cette base là rien ne m’empêchait de le soutenir loyalement en informant l’agent de police que (pour l’instant) il ne me faisait aucun mal et que j’appréciais sa compagnie. Le flic n’était pas un adepte de cette pratique faciale qu’on appelle le sourire mais il a fini par rendre sa carte à Francisco après que son interlocuteur talkiewalkien ait vérifié son identité.
Francisco a apprécié que je lui témoigne mon soutien (même si j’avais oublié sa consigne de départ) et je l’ai senti vachement moins enclin à me truander, au contraire de Thierry Henry, reparu avec la disparition du flic.
Francisco était furieux qu’on l’ait « contrôlé », il vitupérait (oui Mesdames et Messieurs!) hardiment contre la limitation du droit d’expression, le fait qu’il n’y ait que trois chaines de télé à Cuba et qu’elles soient contrôlées par le gouvernement, etc.
J’ai pris le contrepied pour lui dire que la liberté d’expression absolue ne change pas grand chose au problème parce que l’Etat se démerde toujours pour censurer l’individu. Dans les « démocraties occidentales » il ne le fait plus par la censure à proprement parler, mais il le fait par « flood », en noyant l’information importante dans une mer d’infos inutiles qui éloigne le peuple de la vie publique et permet à l’Etat d’avoir les mains libres (cf: l’article sur la peur et art sur les Etats).
Au final les Etats sont tous les mêmes, leur objectif est d’augmenter leur pouvoir en général et leur emprise sur ceux qu’ils gouvernent quels qu’en soient les moyens… (ex: Julian Assange, l’auteur de wikileaks, vient d’être accusé de viol… Et on ne va pas soutenir un dangereux criminel, pas vrai?)
Il y a tout de même un avantage au système communiste, c’est que la privation de liberté est flagrante. Cela permet de l’identifier et de la critiquer, ce qui implique le peuple dans la « vie de la cité »… Disons que c’est le contraste entre le fait d’être gavé et affamé: être gavé c’est plus agréable mais c’est aussi mauvais pour la santé, et ça provoque moins facilement la critique (en gros: le pal est lubrifié).
D’ailleurs que ferait Francisco s’il avait la liberté de parole? Ce qu’en font les Américains?
Au pays de la liberté (les Etats-Unis méritent ce titre à plus d’un égard) c’est la peur et la télévision qui règnent et qui décident d’une guerre ou de l’autre. Et même lorsque les mensonges sont découverts, il ne se passe rien. Pas de punition pour les coupables!
J’aime bien les Américains, vraiment, parce que c’est un peuple (je parle du peuple pas du gouvernement) sincèrement dévoué à l’idée de « faire le bien ». Ca le rend particulièrement manipulable, certes, mais si c’est « l’intention qui compte », les Américains sont des anges.
Je ne peux donc pas leur reprocher leur mollesse, mais plutôt leur manque total de lucidité… Alors que les Français, qui sont si critiques, ne font rien quand on les baise, bien qu’ils aient l’avantage de savoir qu’on les baise… Non? Vous savez que nos hommes politiques mentent pas vrai? Voire qu’ils sont corrompus? Eh bien ça ne serait pas toléré aux Etats-Unis (où c’est la même chose sauf que les Américains ont le mérite de ne pas être au courant). Pourquoi on tolère ça, nous? Je ne trouve pas que ça aille dans le sens de l’amélioration de notre classe politique.
Alors à quoi sert la liberté d’expression si la plupart des gens sont des esclaves volontaires? A faire croire aux gens qu’ils sont libres: va-z-y, écris ton truc sur ton blog si tu veux, de toute manière tout le monde s’en fout, y a un blog par personne et chacun lit le sien… (j’avoue moi-même être un lecteur assidu de l’EXCELLENT Nabolo-blog)
Bref, vous l’aurez compris, j’aurais mis une baffe à Fancisco s’il continuait à se plaindre. Heureusement il a fini par reconnaître des points positifs à son pays, comme le logement, les études et les soins gratuits, la solidarité nationale, la liberté sexuelle et la libérté de culte, etc.
En fait le problème est toujours le même: les gens veulent plus et tout le monde se plaint quel que soit le pays… Parce que l’herbe est toujours plus verte, dans le pré d’à côté. Ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire, ni « mieux vaut se contenter de blablabla »: allez-y donc dans le pré d’à côté! C’est ça l’aventure, c’est ça la vie: on cherche tous à s’occuper!
Lorsque j’étais en Inde, des (collègues) comédiens me parlaient d’un projet de pièce qu’ils allaient monter pour manifester leur désir d’une sécurité sociale, d’une indemnité chômage, de retraites, etc. Je leur ai répondu que je trouvais ça super qu’ils se battent pour leurs rêves, tout en leur souhaitant de ne jamais réussir, pour éviter qu’ils accouchent d’une société de vieux et d’assistés (comme j’en connais d’autres -je suis assisté moi-même- – et je serai bientôt vieux -), qui sera de toute façon insatisfaite de ce qu’elle a mais n’aura plus la vigueur nécessaire pour y changer quoi que ce soit.
Or il faut se battre pour ce qu’on veut si l’on ne se satisfait de ce qu’on a! (j’ai viré le « pas » de la phrase pour que ça fasse plus « citation philosophique à retenir », non ne me remerciez pas).
Bref, avant que nous nous séparions, Thierry Henry, qui n’y tenait plus, a fini par me réclamer des pesos pour aider sa famille, blabla (désolé d’être aussi cynique mais je suis plus que blasé). J’ai failli lui dire qu’avec le fric qu’il s’est fait au Barça, il manquait pas de culot! A ça non, ils manquent pas de culot à Cuba! (ça fait 52 lignes que j’essaye de placer cet excellent jeu de mot). J’ai craché ma thune, parce que je suis con (mai je ne le referai plus), et je suis rentré me coucher en attendant de peut-être retomber sur eux le lendemain.
Et le lendemain je me suis rendu compte qu’en fait, les Cubains sont tous très faciles de contact, et qu’ils ont tous des problèmes, et que je peux tous les aider si je leur donne un peso. C’est un peu comme au Sénégal, une sorte de mendicité à la tchatche (sauf qu’au Sénégal les mecs te demandent de l’argent en t’annonçant des bonnes nouvelles plutôt que des mauvaises: « ma fille vient de naître, c’est la tradition que tu me files 100 balles »), faite avec une certaine dignité, du genre: rapport d’homme à homme, plutôt que la manière dont elle est pratiquée en Asie, en exhibant sa misère au maximum (je ne dis pas que cette autre manière manque de dignité, le contexte est différent… mais revenons à mes morpions svp).
De toute façon, malheureusement pour tous les plus pauvres et les moins riches que moi du monde, je n’ai plus d’argent: je viens de miser ce qui me restait sur un jeune auteur prometteur et talentueux dont j’ai acheté l’œuvre à de nombreux exemplaires (du coup j’ai eu un discount) pour pouvoir la revendre et faire des bénefs. N’hésitez pas à faire pareil: en cliquant ici
PS: C’est dur comme fin, pas vrai? Dur, cru, mais tellement proche de la réalité… Et sans mensonge, vous comprendrez mieux comment j’en suis arrivé à ce stade en lisant Indiana Tom. J’appelle ça digérer le mauvais pour pouvoir re-positiver, plutôt que s’imaginer que tout est bien et tomber de haut en découvrant que pas toujours.
Always look on the bright side of life!*
*Toujours regarde sur le brillant côté de vie!
Bravo l’aventurier !
Tout d’abord, entièrement d’accord avec toi, la glace à la fraise est un produit indispensable de la vie de tout les jours.
Et, quelle surprise, Nabolo s’est rendu en Birmanie ? Je connais bien ce pays, quelle idée de s’y rendre en touriste ….