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Arrivé à Arusha je confie ma vie à mon voisin de bus : pour qu’il me mette en sûreté dans le bon matatu, au bon prix, celui qui doit m’emmener d’Arusha à Karatu, à proximité du Ngorongoro. Nous nous séparons une fois le matatu trouvé. Mais dès que mon chaperon s’éloigne, le prix de la course passe de 5.000 à 15.000 shillings ! L’inflation, boum, d’un coup.
J’ai commis plusieurs erreurs :
1- Aller changer de l’argent juste avant et sous les yeux des transporteurs
2- Tendre un billet de 10.000 pour qu’ils m’en rendent 5.000
Du coup me voici les deux doigts crispés au bout de mon billet de 10.000, tendu à tout rompre par la traction qu’exerce dessus les doigts de mon vis-à-vis, celui qui avait promis une course à 5.000 avant de se raviser. Il me fait son regard qui tue et répète que « c’est 15.000, c’est 15.000 ! ». Il prend d’ailleurs à témoin le propriétaire du matatu qui vient de débarquer de nulle part et qui s’écrie avec rage : « Il a raison, c’est 10.000 !! »
– Attendez là, vous me faites une blague… ? Y en a un qui dit 15.000, l’autre 10.000 alors qu’on s’était tous mis d’accord sur 5.000. Moi je paye 5.000, c’est tout.
Mon vis-à-vis ne desserre pas son étreinte de mon billet de 10.000 qui est tendu à craquer.
– C’est 10.000, insiste-t-il.
Super, j’ai obtenu une réduc.
– Bon eh bien puisque c’est comme ça, vous permettrez que je reprenne mon billet et que je descende de votre matatu…
Mais non, apparemment ils ne permettent pas. Au contraire : mon vis-à-vis continue à faire sa tête de méchant (il y arrive plutôt pas mal) et ses cinq potes me bloquent la sortie. Dont un, par la fenêtre qui me montre le poing en articulant les mots « punch you » avec conviction. C’est alors que je me rappelle que 5.000 shillings équivalent 2 euros et qu’ayant fait mon possible pour résister, je peux désormais me laisser entuber dignement, au risque de perdre X fois plus (ça sert les maths dans la vie).
Ce léger souci réglé tout se passe ensuite comme convenu. Le matatu démarre et s’éloigne de mes racketteurs sans qu’aucun d’eux ne monte à bord. Je n’ai aucune idée de qui je viens de payer mais ils m’ont filé un micro bout de papier avec quelque chose d’écrit au stylo bille dessus, c’est que ça doit être bon. Je me renseigne aussi sur le véritable prix du billet, celui qu’ont payé mes nouveaux voisins de siège : 5.000. Eh merde, j’y étais presque !
Nous roulons, roulons : je suis sans doute sur la bonne voie parce que j’aperçois deux blanches assises à un café (tables et chaises de plastique rouge), c’est que je suis bien sur la piste d’une attraction touristique ! Nous quittons bientôt la ville et changeons totalement de paysages. Abandonnant la végétation luxuriante des alentours du Kilimandjaro où de larges palmes de bananiers éventent les petits cours d’eau rocailleux, nous prenons en altitude et traversons maintenant de large plaines beiges striées de longues bandes de terre brunes ou noires et parsemées de tout petit buissons. Au milieu il n’y a que notre route. Même si j’ai du mal à voir car nous sommes tous tassés les uns contre les autres dans notre matatu. Il y a quelques maisons rondes en torchis sur le côté ou plus éloignées de la route, souvent des groupes d’ânes sauvages, ou du moins lâchés en libertés (ça existe les ânes sauvages ?!). L’horizon de cette vaste plaine se partage en montagnes, étalées ou ponctuelles, et en monceaux de monceaux de nuages blancs, très bas dans le ciel, et dont les mailles laissent passer les filets de lumière qui changent la couleur de la plaine, semblable à cette plaine scintillante des « annales de la Compagnie Noire » (un roman, de Glenn Cook, pour ceux qui connaissent : c’est exactement là que je me suis senti). Au bout d’un moment la plaine reprend du vert, puis de la verdure et des troupeaux de bœufs à bosse masaï. Les buissons se changent en arbustes, il y a des maisons… Il y a aussi des arbustes blancs que je n’ai jamais vus, avec des feuilles qui rappellent des nids de chenilles ou des pissenlits pas mûrs, des cases masaï et de grandes boîtes blanches pendues dans les arbres… Qu’est-ce donc ? Mystère !
On vient de s’arrêter pour laisser descendre une mère et son fils au milieu de nulle part… Enfin pas tout à fait nulle part : deux cents mètres plus loin il y a quatre cases en retrait de la route, au bout d’un chemin.