- Figurant Bollywood cinq jours de tournage dans la vie d’un (1/5)
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Effectivement, mon personnage n’était pas encore mort… De quoi donner un nouveau prétexte au metteur en scène de me trucider : je me suis fait traîner par les pieds sur la terre et les cailloux, puis tabassé par des figurants soucieux de bien faire leur travail.
On m’a maquillé une énorme cicatrice sanguinolente sur le nez. Les autres Portugais ont pris cher, eux aussi, et quoi au final ? Il n’y a que mes jambes et mes agresseurs qui apparaîtront à l’écran ! Mais le metteur en scène était content, alors tout le monde l’a imité.
Décidemment, ce Santo Shivan est méga respecté. J’en ai appris davantage aujourd’hui, sur le chef d’œuvre que je vais signer de mon nom (il y aura un « Soldat portugais n°3 : Nabolo » au générique – ah non en fait (ajout post-tournage)) : c’est l’épisode qui suit un premier film appelé « Ashoka » (du nom d’un ancien roi Indien que vous devriez connaître), dans lequel a joué Sarhukan, la méga-star bollywoodienne. Mon film à moi s’appelle « Urumi », c’est une très grosse production aussi (« Ashoka » ayant été un succès).
Quand j’ai fini mes scènes, je suis allé m’asseoir derrière le réalisateur, comme j’en ai pris l’habitude, pour vérifier qu’il n’y a pas d’incohérences sur les écrans de contrôle et en apprendre plus sur le métier, tout en me mêlant de ce qui ne me regarde pas. Un papa Indien a osé venir jusqu’à nous pour demander à Jeniliva de prendre une photo avec son petit… « Quel effronté ! » ai-je pensé tout bas, avant de demander une photo moi aussi, d’elle et de son collègue Pritvi, d’abord pour le souvenir, ensuite parce qu’il ne faut pas sous-estimer la valeur de tels trophées dans un pays où le cinéma est l’équivalent d’une religion : si je suis dans la merde quelque part dans le sud de l’Inde où ces deux acteurs sont des superstars, et que je montre ces photos à quelqu’un, je perds immédiatement mon statut d’inconnu… Ces deux photos sont quasiment un laissez-passer pour n’importe où.
Le déplace-montage du matériel et du décor prenant du temps, entre deux scènes, je me suis mis à gribouiller sur mon carnet de notes, ce qui a éveillé l’intérêt de Santosh, le réalisateur, qui lui aussi n’avait que rien à foutre. Il m’a aussitôt piqué le stylo et le papier des mains pour faire son propre dessin, pas mal, pas mal. Notre sujet était Geniliva. Je lui ai fait cadeau de ma version un peu plus tard, sans oublier d’ajouter mon nom comme elle me l’a demandé, mais avec son orthographe facebookienne, l’air de rien ni vu ni connu hopopop j’t’embrouille !
Je ne sais pas si on peut qualifier mon comportement d’opportuniste, voire de fouiniste, mais c’est vrai que je ne rate pas une occasion pour me faire remarquer (sans jamais écraser les autres cependant, ça reste ma règle d’or). Dans « Les trois mousquetaires », roman que j’affectionne, Dumas fait plusieurs fois allusion à « l’occasion », qu’il dépeint comme une créature en équilibre sur une roue, qu’on a qu’un instant pour saisir, par les trois cheveux qui lui pendent du front… Pas facile, ça demande de l’instinct, de la réactivité et pas mal de fouinisme. Mais ce fouinisme est aussi la clef de l’aventure ! La serrure de l’aventure, en revanche, c’est cette phrase que prononça jadis Danton, mon glorieux ancêtre, et qui devait sauver la France : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! ». Que vous dire d’autre à mon sujet ? Que j’ai une parenté avec Dieu ? Vous vous en doutiez déjà.
En attendant de faire des miracles, j’ai décidé de prêcher la bonne parole, en allant trouver Averell, ce géant à moustache qui martyrise les chiens. Mon plan de départ était de lui casser la gueule, pour lui donner une leçon. Les chances que ce soit moi qui apprenne quelque chose de douloureux n’étant pas négligeable, j’ai plutôt profité que nous soyons seuls pour lui faire mon petit laïus :
– Tu sais Averell, je t’ai observé et j’ai vu que tu étais quelqu’un de gentil, chaleureux, drôle, présent pour tes amis… (il a vivement approuvé cette première partie) Mais il y a quelque chose que je ne m’explique pas, c’est ton rapport avec les animaux… Ce que tu as fait au chien la dernière fois, pourquoi ?
– Tu sais, m’a-t-il répondu, en Inde, c’est comme ça, les chiens sont traités ainsi parce qu’il y en a tellement, ils sont sales… Je sais que c’est terrible mais c’est comme ça (à l’entendre j’ai eu l’impression que c’était quelqu’un d’autre qui avait donné le coup de pied !).
– Peut-être Averell, mais malgré cela, et même si je te trouve sympa, c’est quelque chose que je ne peux pas admettre… Tu es grand, tu es fort, tu es fait pour protéger les opprimés, pas le contraire. Et qui a-t-il de plus opprimé que les animaux, à notre époque ?
…ou comment insuffler une idée dans l’esprit de quelqu’un sans se faire chier avec les complications et des risques de l’ « Inception ». A coup sûr, Averell va devenir militant écologiste après un speach pareil !
Ce qui est vrai en tous cas, c’est qu’Averell est un bon gars. Il n’a pas cessé d’être prévenant avec moi depuis l’épisode du chien, et je suis le seul de la bande qu’il ait continuellement appelé « Monsieur », et dont il n’a pas attrapé les couilles par surprise, pour faire marrer la galerie. Son rapport avec les animaux est tel qu’il est, parce qu’il a besoin, comme tant d’autres, de démontrer sa virilité, de prouver qu’il est fort. C’est inacceptable à mes yeux, mais ce n’est pas méchant. Ca me fait penser aux réactions que je suscite quand je dis que je suis végétarien : les mecs se précipitent pour m’expliquer qu’ils ne pourraient pas se passer de viande, qu’ils en ont trop besoin pour leur organisme ou que c’est juste trop bon… Le comique vient du fait qu’ils utilisent quasiment la même phrase et les mêmes expressions, et qu’ils font trainer leurs explications en longueur comme s’ils racontaient quelque chose d’intéressant, en précisant qu’ils m’admirent mais que c’est trop dur pour eux, un peu comme superman s’incline devant la kryptonite. Mais je détaillerai ces histoires à l’occasion, car c’est quelque chose à raconter que d’être végétarien dans la société occidentale ! En Inde c’est sans problème, on nous pose la question avant chaque repas : « veg or non-veg ? ». Vu la gueule de la viande d’ici, de toute façon, t’as intérêt à être végétarien. Ce qui est étonnant c’est que, à ne pas manger de viande, les muscles de beaucoup d’Indiens ne gonflent pas, alors pourtant qu’ils sont très forts… Contrairement à ces Américains gondolés, mous comme des petits bouts de gomme.
Ce soir, j’ai appris qu’on aurait encore besoin de mes services de pro dans les prochains jours, alors que le reste de l’équipe est congédiée. J’ai dit au revoir à toute la bande avec chaleur, spécialement à Averell d’ailleurs que j’ai fini par apprécier sincèrement : c’est un « personnage ». Il ne me reste plus qu’à lui apprendre à respecter les animaux, ce que j’arriverai d’autant mieux s’il devient mon ami.
La pluie a commencé à tomber avant que j’ai pu trouver une voiture pour me raccompagner à l’hôtel. J’ai donc sauté dans un des « Vanity-van » (marrant comme nom !), ces bus qui servent de loges et de pissotières, où je suis tombé sur un Américain, grimé en Portugais, qui jouait de la guitare pour backpacker m’a-t-il dit, nom effectivement inscrit sur cet instrument qui se caractérise par sa petite taille. Ca fait quelques années que Bob est dans le métier, il joue même des rôles permanents pour les séries de télévision indiennes… Encore un qui a l’air d’avoir des choses à raconter !
Plus tard je suis monté dans une jeep avec dix autres personnes, et nous avons commencé à rouler sous la pluie. Sur le chemin boueux, une silhouette noire marchait au devant de nous. Elle nous faisait dos, drapée dans une grande cape noire qui la protégeait de l’averse. Ses jambes, qui ne dépassaient qu’au niveau des mollets, étaient noires elles aussi… Je me suis demandé si ce n’était pas la Mort que nous voyions là, plutôt que l’accident qui nous ferait périr.
Ce n’était qu’un des figurants Indiens qui rentrait, lui aussi. L’accident, nous l’avons croisé plus tard : un camion hors de la route surplombant un ravin, et qu’une dizaine d’Indiens essayait de retenir à grand peine… Nous l’avons croisé encore lorsque notre chauffeur a été pris d’une violente crise de « je-ne-veux-pas-être-doublé-par-le-mec-de-derrière » qui klaxonnait en tentant de nous dépasser alors que nous accélérions malgré la pluie, les virages, les vaches et les véhicules qui arrivaient sur nous de la voie de droite ou de gauche selon qu’ils s’y trouvaient des nids de poule ou pas.
RAJOUT DE JUILLET 2012 : le film est sorti ! Cliquez ici pour voir un extrait où j’apparais.