Non, je n’ai pas eu d’aventures avec une parisienne… (en tous cas ce n’est pas le sujet de cet article :p).
« La Parisienne », c’est une course de fond réservée aux femmes. Elle a lieu chaque année à Paris, entre l’Ecole Militaire et le pont d’Iéna, et rassemble des milliers de jeunes femmes en minishorts moulants pour une course d’une longueur de six kilomètres.
Du moins est-ce comme ça que mon amie Chapoulawa m’a vendu le concept, et proposé de me joindre, avec elle, à l’équipe du staff, chargée de monter le village qui accueillerait les coureuses et les curieux.
En accord avec la philosophie de l’aventure, je ne pouvais qu’accepter cette nouvelle mission (rémunérée) et me mettre corps et âme au service des 16.000 participantes à l’édition de cette année… Même si j’ai un peu déchanté en remarquant, sur les photos de l’an passé, un supporter quadragénaire avec une pancarte dotée de l’inscription « ALLEZ MAMAN !! », reste que toute nouvelle expérience est bonne à prendre, et je n’en avais pas dans l’évènementiel, croyais-je…
Mais il se trouve que si, en fin de compte, puisque les « Conventions ANKAMA » sont typiquement de l’évènementiel ai-je réalisé depuis (je suis un peu long à la détente). La grosse différence c‘est que « La Parisienne » a lieu à l’extérieur, qu’elle rassemble un autre public, etc. Bref, la grosse différence, c’est que ce n’est pas du tout la même chose.
Le premier jour nous avons commencé par monter des tables et parasols ainsi que déplacer une quantité importante de cartons que nous déballerions le jour suivant pour en assembler le contenu. Nous le déplacerions et re-déplacerions plus tard au gré des besoins de l’organisation et de la fantaisie de nos chefs, ai-je eu le sentiment, parfois.
Ce faisant, j’avais tout de même la conviction de participer à une grande œuvre : l’édification d’un gigantesque camp à femmes !
Je nous imaginais, mes camarades et moi-même, en terrassiers romains préparant les fortifications qui nous permettraient de contenir l’assaillent, lequel arriverait en force le dimanche, pour le début de la course en elle-même. D’ici là le camp serait ouvert aux chalands désireux d’acquérir les différents produits pour la peau et la santé dont la promotion serait faite par de grandes ou de plus petites marques sous les nombreux chapiteaux que compterait le village.
A nouveau, nous avons déplacé des tables ici et là… Il a fallu installer des cannisses partout sur le grillage des barrières. Nous égayions le labeur en chantant « Mélissa métisse d’Ibissa » la seule chanson qui, à nos connaissances, fasse référence aux cannisses… On s’est raconté des blagues aussi, on s’est amusé à des concours de rapidité au moment de se faire passer des cartons à la chaîne, bref, on a essayé un peu tous ces artifices qui nous permettaient de refouler l’idée que notre boulot était chiant à mourir.
Lorsqu’il fallait transporter des cartons vides, gros comme deux fois nos tailles, je nous imaginais en fourmis manipulant d’énormes morceaux de mie de pain. Lorsque nous sautions dans une camionnette et donnions deux coups dans la taule pour signaler au chauffeur qu’il pouvait démarrer, nous emportant, sous le soleil, vers notre prochain lot de chaises et de tables à déplacer, je nous imaginais dans une plantation de Géorgie au XIXème siècle.
Parfois je me demande comment je résisterais à cette torture que Stefan Zweig évoque dans « le joueur d’échecs », à savoir être enfermé dans une chambre, nourri certes, pas maltraité non plus, mais seul, isolé, avec pour seule compagnie mon imagination. Le héros de Zweig s’en sort en jouant aux échecs, soit mentalement, soit à l’aide du mobilier, jusqu’à être libéré finalement, au bout d’un certain temps qui se compte en mois ou en années. L’imagination, c’est vraiment la clef pour se libérer d’une situation ennuyante, ça permet de la traverser de façon amusante : en l’occurrence jouer les légionnaires ou les « Tom Sawyer » ne m’ennuyait pas du tout.
La pression sur le chantier a augmenté avec l’approche du dimanche, le « grand jour ».
Dès le vendredi le village, terminé, accueillait un certain nombre de visiteurs. Mes camarades ont plus ou moins résisté à la pression (d’autres diraient « se sont plus ou moins impliqués »), ce qui a légèrement nuit à l’ambiance, un tel ayant un paquet de bouteilles d’eau à livrer me répondant comme l’aurait fait James Bond si je l’avais interrompu en plein désamorçage de missile nucléaire. Ce jour-là, j’ai eu l’impression d’être entouré par une bande de présidents de la République qui avaient trop à faire en terme de livraisons de cartons pour m’accorder une minute et me dire enfin, bordel, ce que j’étais censé faire de cette chaise.
Mais passons !
Le camp terminé est devenu un petit paradis du bien-être de la femme où ces dames reçurent produits pour la peau, massages, infusions, yaourts au soja, cours de danse, etc.
En passant près du grand podium où une prof de sport dispensait son savoir à un parterre de jeunes filles je n’eus pas le temps de détourner mes oreilles chastes des hauts parleurs qui gueulaient :
« Et maintenant nous allons commencer un exercice de musculation du périnée, très utile pour combattre les pertes urinaires ! »
Vite ! Courir pour déplacer des chaises et des tables, loin, n’importe où…
Finalement on m’a trouvé une tache pas trop crevante : pendant deux jours je suis resté à côté d’une barrière pour informer les gens que, contrairement aux apparences, la sortie n’était pas par là. Ca m’a rappelé mon expérience de « videur de boîte », sauf qu’au lieu d’un bombers gonflé par chambre à air je n’avais sur moi qu’une polaire d’un jaune pissenlit ma foi très saillant mais loin de me donner la même autorité : le public n’a d’ailleurs pas hésité à me faire sentir qu’il était prêt à se rebeller contre ma tyrannie et à forcer le passage dès la première inattention de ma part.
Il était tout à fait incompréhensible pour lui qu’une barrière de moins de deux mètres puisse constituer un obstacle. Il m’a fallu justifier, à chaque fois, les raisons pour lesquelles le passage était fermé. C’était presque de la rhétorique.
A ce sujet-là, j’ai rapidement constaté que les étrangers étaient beaucoup moins chiants que les Français. J’ai eu le loisir de pratiquer l’anglais et l’espagnol au cours de cette mission.
A terme, comme tous les Américains, Anglais, Argentins, Mexicains qui passaient étaient courtois et agréables et que les Français râlaient, j’ai fini par conclure que les Français étaient tous des connards. J’aurais pu rester sur ce point de vue un peu idiot si un Anglais ne m’avait pas carrément ignoré au point que je dus m’interposer pour lui barrer la route ! Prenant du recul, j’ai alors compris que les Anglais aussi étaient tous des connards.
Je suis resté à ma barrière, les aventures s’y présentaient spontanément. Les gens y venaient pour me convaincre, par différents moyens, de les laisser passer. Je n’aime pas être du côté de l’autorité, mais j’aime me plonger à fond dans les rôles que j’emprunte, et je suis resté intransigeant (mais toujours poli), avec les filles qui m’ont fait du charme ou tenté de m’apitoyer, avec les garçons qui m’ont menacé ou tenté de sympathiser, avec cette mère qui m’a expliqué que le bébé dans sa poussette dormait et qu’elle voulait passer par là pour éviter de le réveiller en s’approchant des hauts parleurs, avec ce couple d’Italiens qui, après avoir brandit divers arguments, invoqua la bonté dont je ferais preuve si je laissais Madame, enceinte, utiliser les toilettes qui se trouvaient de l’autre côté de la barrière, au nom de Dieu.
Une dame élégante, la quarantaine, a insisté par trois fois pour que je la laisse passer. Je m’usais les lèvres à lui sourire et à lui répondre avec courtoisie… A ce moment là arrive Dédé, en charge de l’équipe de nettoyage, et qui se permet d’intervenir d’une voix rauque et autoritaire : « La sortie c’est par là-bas ! » en indiquant la direction du doigt. Sur ce la dame décampe en maugréant et Dédé se tourne vers moi :
« Dans la vie, si tu veux qu’une femme te suce il faut lui dire « à genou » et « suce-moi » sinon t’en as pour des heures. Tu connais pas les bonnes femmes toi, mon p’tit gars ! »
Une belle leçon de vie.
Après j’ai fait un tour de camion pour poser des banderoles sur le parcours, placer les musiciens chargés de rythmer la course au bon endroit, etc. Les activités étaient diverses et variées, il faisait beau, j’étais content d’être sous le soleil, ça me changeait un peu de mon ancien boulot. Je suis retourné à ma barrière avec une chaise, un papier et un crayon qui m’aideraient à trouver le temps moins long en préparant articles et poèmes pour l’excellent Nabolo-blog que j’en suis sûr, vous avez tous déjà recommandé à vos amis et familles.
A chaque fois que Dédé et ses potes passaient ils me demandaient comment allait mes révisions, ou bien ils m’invitaient à délaisser mon poste pour aller trainer les yeux au stand de massage : « Tu vas voir, y a des nichons, viens, c’est super ! ».
Mais il fallait quelqu’un pour garder la barrière.
Pour m’accompagner dans ma solitude, un jeune homme, inconnu au bataillon, s’est assis à mes côtés.
« Bizarre » ai-je pensé, il ne semblait rien faire de particulier. Je l’ai laissé tranquille.
Au bout de dix minutes il a balancé ses affaires et sauté par-dessus la barrière pour courir jusqu’au carré V.I.P. !
Je l’ai poursuivi, manquant de peu de tomber dans le bassin dont il avait longé le rebord puis, arrivé à sa hauteur, je l’ai sommé de s’arrêter. Là il est reparti en courant dans l’autre direction, il a récupéré ses affaires restées au sol et il est allé se cacher derrière un arbre.
Un gars de la sécurité m’a rejoint pour me demander ce qui s’était passé puis pour me mettre en garde : « Méfie-toi de lui, ça fait deux jours qu’il traine ici… Hier il a tenté de monter sur le podium en prétendant qu’il était le fils de Carla Bruni. »
J’ai trouvé moyen de me faire remplacer au niveau de la barrière, parce que même avec de l’imagination, un papier et un crayon, ça reste un boulot hyper chiant.
J’en ai profité pour prendre mon déjeuner, dans une assiette en plastique puisque, comme l’avait précisé notre responsable, les assiettes en papier sont réservées au public « pour faire écolo ». Moins écolo ça a été la quantité impressionnante de cartons et de sacs plastiques que personne ne semble avoir songé à recycler. Je ne peux plus qu’approuver Chapoulawa qui assure, qu’en France, l’écologie est un concept marketing.
Le dimanche, avec le gros afflux du public, la fille qui m’a remplacé aux barrières à pété un câble devant l’insistance des gens qui refusaient d’y voir un obstacle interdisant la circulation. Une dame a cru bon de lui préciser qu’avec un sourire, tout passerait mieux… Mais levés à quatre heures du matin nous n’en étions plus là.
J’ai tenté d’expliquer à cette dame que c’était au-delà de nos forces, au bout d’un moment, de continuer à sourire à des gens qui trois fois sur cinq nous répondaient de manière désagréable, qu’elle avait avec nous un rapport d’individu à individu mais que nous avions avec elle un rapport d’individu à groupe. Il m’a été impossible de me faire comprendre. Ce sont des moments rares ceux-là, et ô combiens frustrants, dans lesquels je me rends compte que la communication ne peut plus rien, qu’il faut se résoudre à l’indifférence ou l’inimitié alors pourtant qu’on est à peu près d‘accord sur un sujet.
Envoyé en mission spécial à l’arrivée de la course, je me suis trouvé au milieu d’un troupeau de coureuses avides de sauter par-dessus la clôture pour rejoindre leurs maris plutôt que d’utiliser le passage prévu. A cheval sur une barrière, il m’a fallu user de la voix pour rassembler le bétail et le ramener au ranch, moi pauvre cowboy solitaire, ouaip.
Blague à part ça a été un moment très désagréable où je me suis confronté à des gens, où je leur ai causé du mécontentement au nom d’un idéal pour lequel je n’avais qu’une conviction mitigée : les ordres de mon chef.
Enfin, tout est bien qui finit bien : je termine mon expérience dans l’évènementiel avec de nouvelles connaissances ou contacts, je me suis enrichi personnellement, j’ai gagné de l’argent et j’ai bronzé tout en me musclant à force de soulever des chaises et des tables, contractant mes muscles noueux, couverts de sueur et de poussière, et bombant mes pectoraux avantageux dans mon t-shirt jaune-pissenlit… Ouh ! You touched my tralala !
Epilogue
Une aventure peut parfois en cacher une autre ! C’est ainsi que, une fois ma mission achevée, j’ai été contacté par un monsieur qui travaillait sur un des stands et auquel j’avais laissé une carte de l’excellent « Nabolo-blog » que vous avez tous, sans aucun doute, déjà recommandé à parents et amis… Bref, je m’en suis réjoui car ce monsieur dégageait quelque chose de très sympathique, en plus d’avoir eu une vie mouvementée et aventureuse pour autant qu’il m’en ait dit. Il m’a déclaré s‘intéresser à mon profil et avoir des choses à me proposer, en plus d’avoir apprécié les textes que je publie ici.
Je suis donc allé au rendez-vous qu’il m’a donné, un peu étonné tout de même qu’il m’accueille dans son appartement plutôt que dans un bureau. Il avait changé de look aussi, le costume avait disparu pour laisser place à un t-shirt manches longues légèrement moulant qui laissait entrevoir, autour du cou, une coquette chaîne en or. Avec beaucoup de chaleur il m’a invité à le suivre sur la moquette de son salon sur laquelle lui-même marchait pieds nus. Un ami à lui était là aussi, auquel je fus présenté ; ami, remarquai-je, dont les photos occupaient une place raisonnable au sein de la décoration du salon.
Nous avons parlé travail, bien sûr, mais la proposition qui me fut faite finalement n’était pas exactement celle à laquelle je m’attendais. Mes interlocuteurs étaient notamment curieux de rencontrer le personnage de ma nouvelle intitulée « La partouze » et de vérifier jusqu’où j’étais prêt à appliquer la « philosophie de l’aventure ».
A ce sujet je le répète : il faut savoir faire le tri entre les aventures pour sélectionner celles qui nous semblent les plus plaisantes et passer sur les autres… on ne peut pas TOUT essayer ! (et il ne faut pas confondre un personnage et son auteur).
Spéciale dédicace à mes deux nouveaux lecteurs !!
Partir de 16000 femmes pour finir chez deux hommes, je te reconnais bien là Nabolo ;-)
Paris et toutes ses mystères philosophiques!
J’ai apprécié ton texte, même s’il m’a paru un peu trop long…