Un avion et c’est l’arrivée à San Juan, ville dont je savais peu de chose, à part les recommandations de mon guide touristique : « ville sans danger, sauf en début d’après-midi, à l’heure où la police fait la sieste ». Bon. Le guide prévient aussi : « Attention au Zhonda, un vent du pacifique, extrêmement chaud qui peut causer de surprenantes variations de températures ». De fait, il fait très chaud, incompréhensiblement plus qu’en Patagonie, alors qu’on est bien plus au nord !!
Je me balade dans les rues, perpendiculaires, comme le reste des rues d’Argentine. En plus celles de San Juan sont alignées sur les points cardinaux ! Pour se repérer, quoi de plus facile ? Ben moi je trouve pas ça facile, justement : parce qu’on ne peut pas reconnaitre les rues à la forme, il faut le faire au nom, et je suis pas habitué à retenir le nom des rues (vous en apprenez de belles, hein ?).
Au supermarché de San juan je m’achète du Fernet Branca, pour goûter, et puisque c’est si populaire ici, ou vachement bien publicisé (ce qui revient à peu près au même). Moi ça m’évoque les bds de « Carmen cru », dans fluide glacial, qui ne buvait que ça. J’entends la chanson « Voyage-voyage » qui passe des radios à la rue par la porte ouverte des boutiques… un tube éternel qui me correspond si bien : il est kitsch lui aussi.
Nouvelle auberge de jeunesse, je vous raconte pas, c’est un classique. La vraie nouveauté c’est que pour la première fois j’ai loué une voiture, chose que j’hésitais à faire avant, à cause que j’avais pas le permis de conduire. Mais depuis je l’ai passé : dans un village de campagne, comme on me l’a conseillé après mon dernier échec en ville. Or, louer une voiture est plus facile que de passer le permis : il suffit de signer des papiers, et hop, me voilà embarqué dans l’aventure de conduire en Argentine !
L’Aventure de conduire en Argentine
De manière générale, quand tu commences à conduire, tu vois les rues différemment. Les panneaux de signalisation ne sont plus de simples poteaux auxquels tu attaches ton vélo mais le maillon d’un ensemble de codes jusqu’alors invisibles : ils te disent ce que tu dois faire. Le feu rouge par exemple, te dit que tu dois t’arrêter. En Europe le feu rouge te dit de t’arrêter au feu rouge, mais en Argentine, le feu rouge te dit de t’arrêter une route avant le feu rouge. Et s’il te le dit pas, devine-le vite !
Etrange mais vrai : les feux rouges argentins sont pour ainsi dire des feux à longue portée. Si donc, en France, tu aperçois une voiture de location arrêtée au beau milieu de la voie, peu avant un carrefour, c’est sans doute un Argentin qui conduit. A l’inverse si, en Argentine, tu trouves une voiture arrêtée sur le carrefour, perpendiculaire à ta route, c’est probablement moi qui suis au volant.
Sacrés feux rouges ! Et bien sûr y a personne pour te prévenir… Ceci dit les Argentins de l’ouest sont beaucoup plus versés dans la prévention que les Argentins du sud (généralisation, quand tu nous tiens). Laissez-moi vous donner un exemple concret :
BON pour un don d’exemple concret : Lorsque j’étais à El Calafate et que j’ai voulu retirer de l’argent, je me souviens d’être tombé sur une queue d’une vingtaine de personnes au distributeur de billets. Ce n’est que mon tour venu que j’ai découvert et annoncé à tout le monde que le distributeur était vide depuis la fin de la matinée, chose que la vingtaine de mes prédécesseurs avaient tue, laissant les autres faire la queue en vain… Eh bien dans l’ouest du pays (serait-ce une différence culturelle ?) les conducteurs n’attendent pas pour te signaler que tu roules en sens interdit, tu es mis au courant tout de suite : klaxons, brailleries, la totale !
Une autre chose qui n’est pas très claire donc, c’est les sens interdits, qui ne sont pas indiqués, et si oui je n’ai pas trouvé où.
Ensuite il y a les limites de vitesse, pas évidente à capter non plus, pour un novice.
Roulant à 120 km/h, je cherchais en vain des panneaux sur le côté de la route avant de comprendre le sens du chiffre 80, peint directement sur le bitume, à intervalles réguliers. La seule consigne que m’avait donnée la loueuse de bagnole était : « Tu laisses toujours les phares allumés, de jour, de nuit. Toujours. Sinon pour le reste c’est pareil. » Elle aurait pu être plus complète. Elle ne m’a pas prévenu non plus pour les vaches, chevaux et chèvres qui se promènent allègrement sur la route… est-ce que les phares sont supposés leur faire peur ? De jour ? Pas trop efficace si c’est ça, et si c’est pas ça, alors pourquoi ???
Enfin je vais pas lui jeter la pierre, à ma loueuse, puisque j’ai oublié de vous dire moi-même pourquoi j’ai loué une voiture et où je vais : au parc de Ischigualasta, célèbre pour ses fossiles de dinosaures et ses pierres bizarres. Après cinq heures de route (je me suis un peu gouré en estimant les distances) j’arrive au paradis des Paléonthologues, comme ils disent sur le prospectus, et j’insiste sur ce point parce que quand t’es pas Paléonthologue tu t’imagines le paradis un peu différemment, avec moins de pierres et plus de meufs. Heureusement je suis un peu paléontologue, vu que j’ai assemblé des tricératops en bois quand j’étais petit.
La vallée qui s’étend à mes pieds tandis que j’attends le guide qui doit prendre la tête d’une file de voitures de touristes, dont la mienne ; la vallée, disais-je, s’étendant à mes pieds comme feu ma petite chienne Ploumy pour que je lui gratte le ventre, la vallée était belle. Notez que la vallée s’étend aussi lorsque j’attends pas le guide, mais pas à mes pieds.
Lorsque le guide se décide nous le suivons dans des méandres de cailloux, s’arrêtant rocher après rocher pour entendre ses explications, hyper rapides, dans un espagnol de spécialiste. J’ai pas toutou compris du coup, notamment pas pourquoi, de tout le mésozoïque, la vallée d’UCHTYIAYA représentait surtout le triasique, plutôt que le jurassique ou le trisomique. Victor (c’est le nom du guide) eut la bonté de me prendre à part pour me renseigner, et je vais vous la faire courte : au « début » la Terre n’avait qu’un seul continent, la Pangée, où vécurent de grosses bestioles à différentes époques, avant que la Pangée se divise en nos continents actuels. Le mésozoïque, c’est la période majeure qui précède le « cénozoïque », c’est-à-dire la nôtre (plus précisément le « quaternaire », subdivision du cénozoïque). Le mésozoïque est divisé en trois périodes :
1- D’abord le triasique, où apparaissent les premiers petits dinosaures,
2- Ensuite le jurassique, d’où viennent les figurants de Jurassic Park
3- Enfin le crétacé, auquel on ne s’intéressera pas, jamais
Imaginons maintenant que des animaux, vivant à chacune de ces périodes, meurent, et se changent en fossiles en s’enfonçant dans la terre… Ça paraît complètement dingo mais imaginons : on est d’accord que les fossiles du triasiques seront enterrés plus profond (dans une couche de terre noire, mettons) que les fossiles du jurassique (dans une couche de terre rouge), par exemple ? Eh bien c’est ce qui s’est passé dans la vallée d’Uchtamachin ! Lorsque la Pangée s’est mise à bouger, la tectonique de Splaque, tout ça, la croute terrestre s’est déchirée, un peu comme si vous pétiez votre mille-feuille en plein milieu pour faire ressortir la crème qui est dessous. Ben à Uchtiya c’est pareil : la croute de jurassique et les autres croutes ont glissés beaucoup plus loin (on peut d’ailleurs voir ces croutes de la vallée) découvrant à l’air libre la croute du triasique, où l’on peut donc trouver plein d’indices sur la vie à cette époque-là. Apparemment c’est unique au monde, d’où le fait que le site soit inscrit au patrimoine de l’humanité et que les locaux fassent de la pub abusive pour leur « parc aux dinosaures », alors que j’en ai même pas vu un seul. Quant aux fossiles, Victor nous en a montré deux de la taille de mon doigt (celui du milieu), alors bof. Par contre le paysage est spectaculaire, ça d’accord, avec tous ces rochers sculptés par l’eau et ces fameuses « pierres rondes » qu’on sait pas comment ni pourquoi. Mais est-ce que ça valait les 700 km que je me suis tapé en une journée ? Grumpf… mouais.
Au retour, Victor me demande de dépanner son pote Daniel, qui est guide lui aussi, et de le ramener sur San Augustin, un des villages que j’ai (sûrement) croisé à l’allée. Daniel a l’air taciturne au départ, pas nécessairement sympathique lorsqu’il me fait remarquer, sans humour, que je roule avec le frein à main. Mais il s’adoucit bientôt lorsque je lui pose des questions sur sa culture et son pays, tout naturellement après qu’il m’a dit se rendre à San Augustin pour participer à un concert de musique folklorique. C’est ainsi que j’ai appris pas mal de choses sur la faune notamment, et le pourquoi il y a des chevaux en liberté sur le bord de la route. En fait ils ne sont pas sauvages : chaque cheval appartient à un gaucho. Qu’est-ce qu’un gaucho ? Daniel en est un lui-même, chose que je ne suspectais pas puisqu’il ne porte ni les cheveux longs, ni les traditionnelles pattes d’éph’ au bas du pantalon. En fait les gauchos d’Argentine se définissent plutôt par leur activité que par leurs convictions politiques : ce sont des sortes de cowboys locaux.
Et quand le gaucho se rend quelque part, m’explique Daniel, et qu’il veut garer son cheval, il lui attache les jambes avant aux jambes arrière : comme ça le cheval ne peut pas courir, mais il peut marcher. Et forcément il marche. Alors comment fait le gaucho pour retrouver son cheval ? Eh bien il retourne à l’endroit où il a laissé son cheval et suit ses traces jusqu’à le retrouver. Malin ! Et si la pluie efface ses traces ? Le gaucho sait qu’un cheval aux jambes attachées ne peut pas faire plus de 2km en une journée. En fonction du temps de pluie etc. le gaucho peut donc calculer dans quel périmètre se trouve son cheval et le retrouver.
Au cas où, je demande à Daniel si c’est la tradition qui contraint les gauchos à procéder de la sorte, plutôt que, ce qui paraît plus pragmatique, d’attacher le cheval à un arbre sans avoir à se casser le cul chaque fois pour le retrouver ? Mais Daniel m’explique que c’est pour une bonne raison qu’on procède ainsi, car si le cheval était attaché à un lieu fixe, il ne marcherait pas, et ne serait donc plus musculairement en état de faire de longues distances une fois que le gaucho reviendra le chercher.
Et le vol de cheval ? Non, y en a pas. Ça ne m’étonne pas vraiment, vu que, à l’heure où j’écris ces lignes, les Argentins sont le peuple le plus sympathique que j’ai jamais rencontré. Tous les Argentins que j’ai croisés, tous, quel que soit leur métier etc. ont été a-do-ra-bles. Un truc de malade. Et dans les auberges on ne m’a jamais demandé de payer, on m’a même prêté de l’argent lorsque je n’avais pas eu le temps d’en retirer, pour que je puisse me payer des expéditions. Une exception quand même à toute cette gentillesse : le motard qui m’a fait un bras d’honneur parce que je roulais sur le mauvais côté de la route… mais je lui laisse le bénéfice du doute : il n’était peut-être pas argentin. L’Argentine prend donc la tête, devant le Portugal et la Turquie, dans ma liste des pays aux gens les plus sympas. Et Daniel, sa légère froideur passée, est devenu carrément amical lorsqu’il m’a parlé du condor avec amour, le seul animal à la fidélité amoureuse absolue, avec le pingouin et l’hippocampe, qu’il connaît moins, forcément.
Le condor, d’après Daniel (le gaucho)
Le Condor n’est pas un charognard contrairement à ce qu’on croit souvent. Il chasse, avec sa compagne, et c’est assez spectaculaire, d’après Daniel. Pour choper un veau par exemple : l’un des condors l’attaque à la gorge tandis que l’autre lui coupe la langue au moment où il ouvre la bouche pour meugler de douleur, et puis le veau se vide de son sang… Faut une sacré synchronisation quand même ! Doit y avoir des heures d’entraînement derrière ! De fait, lorsqu’un condor perd son compagnon, il se donne la mort : volant en cercle jusqu’au point le plus haut avant de se laisser tomber à pique. Daniel prétend que c’est par amour mais si ça se trouve c’est simplement parce qu’en chassant tout seul il n’arrive plus à bouffer.
Le condor a l’esprit de famille néanmoins, ça se voit avec ses petits : la connedor pond toujours trois œufs. Le premier pour nourrir les prédateurs ; le second pour l’élever ; le troisième pour nourrir le second et mon tout fait une happy family ! Lorsqu’il est temps pour le petit conneaudor d’apprendre à voler, il n’a droit qu’à un seul bon essai. Ses parents l’emmènent sur le bord d’une falaise bien dangereuse puis la mère s’élance, fait un tour et revient pendant que le petit regarde. Elle refait le tout une seconde fois. Et puis c’est au tour du conneaudor. Il s’élance et la mère s’élance après lui : elle va voler sous lui pour le rattraper en cas de chute. Notez que pendant ce temps-là, Père Condor prend des photos. La connedor peut facilement retenir son petit s’il chute, grâce à ses deux mètres d’envergure : elle a des ailes surgrandes qui lui permettent de soulever un veau… alors elle est vachement balèze, et voilà ce que j’ai appris sur les condors en écoutant Daniel. Passons aux Guanacos.
Les Guanacos, d’après Daniel (le gaucho)
Daniel m’a appris qu’il y a quatre types de caméléides en Amérique du sud : le lama, du côté du Pérou ; l’alpaca qu’on trouve seulement en Bolivie ; un troisième dont j’avais jamais entendu le nom et que j’ai oublié tout aussi tôt ; et le guacano qu’on trouve un peu partout. En effet, le guanaco s’adapte à tous les milieux : c’est un animal qui peut survivre sans boire pendant trois mois et en mangeant très peu. C’est aussi une source de viande pour les locaux. Daniel raconte que beaucoup d’Argentins souhaitent se réincarner en guanacos, car le mâle règne seul sur une troupe de vingt femelles. Si un nouveau mâle naît dans la troupe, il doit combattre son père pour avoir le droit de niquer sa mère, ses tantes et ses sœurs. Le vaincu, chassé du groupe, devient une proie facile pour le puma… (c’est hardcore la vie de guanaco).
Daniel m’a encore parlé de la vierge pas vierge (l’ai-je décrite plus tôt ? Celle qui a continué d’allaiter son enfant longtemps après sa mort et à qui l’on consacre des autels à base de machines-à-laver rouges sur le bord de la route) ; du langage Quechua, etc. puis je l’ai déposé à San Augustin après une chaleureuse poignée de main : Daniel m’a dit aimer les touristes, parce qu’eux appréciaient la vraie valeur de son patrimoine, chose que ne feraient pas ses compatriotes. J’ai poursuivi la route du retour vers San Juan… J’en avais pour des heures, et il commençait à faire nuit. Pas d’éclairage public, le noir absolu hormis les dix mètres de pénombre que mes phares écartaient devant moi. La voiture rencontrait dos d’ânes sur dos d’ânes… Des dos de chameaux quoi (les Argentins appellent ça des « zonas badenes »). J’ai commencé à m’assoupir au volant… Tant pis pour le village de la vierge pas vierge… Et puis j’ai commencé à m’endormir pour de bon… Alors je me suis arrêté pour me rafraichir un peu les idées et j’ai vu le ciel étoilé d’Argentine, loin de la polluante clarté des humanières géantes qui le noircissent à force de lumières artificielles. Ce spectacle me ramène toujours à cette même idée : que les peuples antiques, en voyant ce tableau d’étoiles, nuits après nuits, ne pouvaient faire autrement que de lui donner un sens et lui trouver des histoires.
Ok, ça s’est dit.
Alors je suis reparti, ne m’arrêtant plus qu’à un contrôle de police, histoire qu’on vérifie si je ne transportais pas des fruits et légumes… encore ! Après que les flics ont fouillé ma bagnole, j’ai dû payer 3,21 pesos pour désinfecter ma voiture des parasites. Je suis reparti, en toussant, et en écoutant « Creap » de Radiohead : en boucle pour trouver l’énergie de ne pas finir dans le fossé. Ai-je survécu à cette incroyable aventure ??? Vous le saurez en lisant la prochaine, samedi prochain ! (et même si j’ai un peu le sentiment de tuer le suspense).