L’habitat de l’aventurier, idéalement, c’est un habitat qui se renouvèle, en mouvement.
Le nomadisme est une bonne solution mais attention : planter sa tente sur une dune un soir, puis sur une autre le soir d’après, puis sur une autre encore, peut être une aventure excitante au départ et franchement chiante à l’arrivée.
Pour éviter la monotonie, partager son habitat avec des animaux ou des humains est une bonne astuce. De ce point de vue, fonder une famille est intéressant. Néanmoins, il est très difficile de s’en débarrasser ensuite, inconvénient que ne présentent pas des colocataires, des chats, des grenouilles ou des tourterelles.
Une autre astuce est d’habiter une roulotte, un train, ou un appartement dont le sol bouge tout seul, avec un passage secret dans la cheminée. Vous n’en avez pas les moyens ? Votre appart est un deux pièces et votre chambre d’un ennui mortel ? Laissez trainer vos chaussettes partout vous permettra d’endiguer cette catastrophe : de grandes aventures vous attendent au milieu d’un chez-soi à géométrie variable, grâce à des reliefs mouvants de t-shirts transpirationeux et de caleçons souillés.
Il existe une alternative à cette méthode : foutre le feu à la moquette… MAIS c’est une aventure qui vous causera de grosses mésaventures ! Elle n’est pas très rentable donc, et mieux vaut passer le temps qui vous reste (plus que 14.597 jours en ce qui me concerne) à vivre des aventures un peu plus palpitantes.
On s’en rend bien compte, trouver le bon habitat, pour un aventurier, est quelque chose de difficile, avec des allures de quête… et si c’est là qu’était le secret ? Le bon habitat pour un aventurier, ne serait-ce pas celui qu’il a galéré à trouver ?
L’EXEMPLE D’UNE AVENTURE LILLOISE
Déménagement n°1 : décembre 2007
Je suis arrivé à Lille en décembre 2007, pour le boulot, après une année passée sous le soleil de Barcelone. Le choc.
Via internet j’ai trouvé une coloc’ en urgence : en quelques heures l’affaire été bouclée. Ca faisait un moment que je n’avais pas séjourné en France, j’étais dépaysé, d’autant que la France du Nord n’a rien à voir avec la France de Provence d’où je suis originaire, et ce sous de nombreux aspects.
Nous étions trois et demi dans la coloc’ : deux Ch’ti et un Sénégalais sans papier en visite chez sa famille, au Sénégal, et dont je pouvais occuper la chambre jusqu’à son retour (qui était d’ailleurs incertain compte tenu de son statut juridique).
J’ai bien aimé mes colocataires mais il y a certains points sur lesquels nous ne nous entendions pas : ils refusaient d’utiliser le chauffage, pour des raisons écologiques, auxquelles je suis sensible, mais qui, a posteriori, me semblent avoir eu de grosses tendances économiques. Bref, on m’a prêté des couvertures pour que je m’habitue « à la température locale » ce qui faisait partie de « l’aventure » que représente toujours le fait de s’installer ailleurs… prétendaient-ils et je me répétais leurs sages paroles lorsque, au cours de la nuit, l’air froid que j’inhalais me réveillait en toussant et que je passais de longues minutes à observer ma fenêtre suintante avant de retrouver le sommeil, ou pas.
Il m’est arrivé de me lever pour allumer le chauffage, mais mes colocs veillaient ! J’étais tombé sur des couches-tard, pas moyen de les abuser.
Au deuxième dégât des eaux que connut ma chambre, et las de patauger dans le centimètre d’eau que retenait la moquette et des bouts de papiers journaux, je décidai de déménager.
Déménagement n°2 : février 2008
J’ai alors trouvé un grand appart dans une rue animée comme une allée de cimetière. Je devais le partager avec une jeune fille d’abord plutôt sympathique qui, après avoir insistée pour que j’achète des meubles et que nous partagions le coût du mobilier, m’annonça qu’elle avait trouvé du boulot ailleurs et qu’elle s’en allait, faisant fi du bail qui nous liait jusqu’à septembre, ce qui n’était pas de chance pour moi parce que, m’assura-t-elle, la propriétaire refuserait que je lui cherche un ou une substitut. Bon.
Pourtant la propriétaire y consentit, tout d’abord du moins : deux semaines avant l’échéance de mon bail j’obtins confirmation de sa part qu’elle acceptait de signer un nouveau bail, puisqu’un de mes collègues était prêt à remplacer ma colocataire disparue.
Mais une semaine après, la propriétaire changea d’avis.
N’ayant nulle part où me loger, je l’avertis de l’embarras que me causait le manquement à sa parole et me préparai à occuper l’appartement de force jusqu’à ce que j’ai trouvé une alternative ou qu’elle m’en ait proposé une. Je passe sur les multiples échanges piquants que nous avons eu pour arriver au moment fort, ce jour où la propriétaire ayant décidé unilatéralement de faire un état des lieux de sortie, je m’abstins d’y prendre part pour aller travailler, laissant le soin à ma petite amie étrangère-qui-ne-parle-pas-bien-français de remettre à l’huissier une lettre expliquant la situation.
– Lé ouissié?
– Oui, c’est le monsieur qui va venir, tu peux pas te tromper!
Une heure et demi plus tard, je reçois un coup de fil au bureau, mon amie est en pleurs, j’arrive à peine à comprendre que ma propriétaire, furibarde, est entrée chez moi par la force, qu’elle roule mes affaires dans mes draps et les jette par la fenêtre. J’appelle la police, un huissier et je prends le métro.
Dans le métro, je mijote. Il me faut une demi-heure pour arriver. J’en ai perdu les jambes tellement j’étais énervé alors, pour aller plus vite, j’arrête une 4×4, les bras en croix sur la chaussée. Le conducteur, qui entretient un peu le style « voyou qui a réussi » se montre très compréhensif quand je lui explique que ma propriétaire me fout à la porte : « Quoi ?! Tes proprios te foutent dehors ? C’est tous des enculés ! Allez monte, on fonce ! »
Il me dépose au coin de ma rue. Je descends et remercie… et m’inquiète car je vois des gens qui se retournent vers l’angle qui me reste caché. Qu’est-ce que je vais y trouver ? Mon amie est sur le trottoir, assise sur mon matelas et entourée de mes affaires. Je me précipite vers elle pour m’assurer que tout va bien. Elle me dit que la propriétaire l’a plaquée contre une voiture pour lui prendre la lettre destinée à l’huissier. Très énervant mais rien de grave, et il va falloir faire un choix, la propriétaire est à deux mètres de moi : jouer des poings ou s’en remettre à la « justice » ? J’opte pour la deuxième solution : mon bail ne se termine que le lendemain, rien n’autorise ma propriétaire à faire ce qu’elle a fait. Je tente de lui reprendre ma lettre à l’huissier mais son mari déboule, me plaque contre une voiture et me prévient : « Si t’es encore là demain je te coupe les couilles et je te les fais bouffer! »
A ce moment là arrive un camion de police, un peu comme Zorro… Les policiers ont la clope au bec et les pieds contre le pare-brise, pas du tout comme Zorro. C’est la deuxième fois qu’ils passent, suite à mon deuxième appel. A leur premier passage ils s’étaient laissés convaincre que tout était « normal » par la propriétaire qui, de nouveau, vocifère sa mauvaise foi. Elle prétend que mon amie l’a menacée du haut de son mètre cinquante-cinq et que c’est elle qui a descendu tous mes meubles. Les policiers allument une nouvelle clope : leur infaillible instinct vient de les avertir qu’ils n’en auront pas fini tout de suite.
Sur ce arrive l’huissier : un peu comme Nicky Larson… Il a la même mini-voiture rouge en tous cas et les mêmes compétences d’enquêteur puisqu’il déclare à ma propriétaire :
– Puisque vous prétendez que c’est cette jeune fille qui a descendu les meubles, et que le bail se termine demain… Vous ne verrez pas d’inconvénient à ce qu’elle les remonte dans l’appartement ?
Non, bien sûr ! Et nous remontons les meubles… Je pense n’avoir jamais déménagé autant en une seule fois. J’ai trouvé un nouvel appart dans la journée, quoi que j’ai passé l’après-midi au poste de police pour porter une plainte qui n’a toujours pas aboutie.
Déménagement n°3 : Juin 2008
J’ai atterri dans le grenier d’une petite grand-mère qui ne voulait louer qu’à des étudiants, chose que je n’étais pas. Elle m’avait donc prévenu, très gentiment, que je devrais quitter les lieux avant début septembre.
Je partageais les combles avec un jeune homme, étudiant lui, très sympa, qui m’aida direct à déménager mes meubles. Je me sentais plutôt bien dans cet endroit mais je n’avais pas le choix, il me faudrait bientôt déménager à nouveau et je fis en sorte, puisque j’avais le temps cette fois, de me trouver un logement confortable.
Déménagement n°4 : Septembe 2008
Déménagement vers une rue de Lille qui bouge. Appart’ nickel. Stop. Aucun problème et propriétaire mentalement équilibrée. Stop. Internet avec fibre méga puissant. Stop. Ennui mortel.
A part bosser je ne faisais rien. Je comblais mon besoin d’aventure avec des aventures virtuelles, sur internet, au travers des jeux vidéos : plaisant, intéressant, mais comme pour tout, l’abus est nocif pour la santé. Je suis resté comme ça pendant un moment et il y a peu de soirées que ma mémoire saurait distinguer d’une autre. Je crois que je me suis un peu oublié pendant cette période, côté vie réelle.
Déménagement n°5 : Avril 2009
J’ai repris du poil de la bête avec le printemps et surtout, la découverte d’un nouvel habitat (comme quoi ça compte vraiment), celui de ma petite amie que j’ai rejoint officiellement depuis trois semaines. La décision n’a pas été facile à prendre, compte tenu de mes précédentes expériences j’ai hésité à me mettre de nouveau dans une situation à risque plutôt qu’à moisir dans le calme plat de mon appartement plat. Il ne s’agit pas de vivre en couple, loin s’en faut, il s’agit de remplacer l’un de ses colocs’ retourné vivre en Italie. J’ai sauté sur l’occasion, conscient d’avoir enfin trouvé un habitat en accord avec ma philosophie, il se présente comme ceci :
Dans une rue du centre de Lille, rue commerçante, rue éclairée, comme un canal aux effluves de la grand place, il y a, entre deux magasins branchés, un étroit renflement, une marche surmontée d’une porte de barreaux gris qui précède une autre porte, de la même couleur, sur laquelle est affiché un chiffre, comme sur celle d’une prison, en-dessous d’une fente qu’on soupçonne donner sur une cellule.
Pas de cellule mais un couloir, mince et profond, où sont entassés des vélos, sous une ampoule jaune qui tache des murs rouges. L’escalier est au bout qui vire de droite et de gauche, ondulant selon qu’il est plus ou moins large. Les marches aussi sont inégales, on manquerait de tomber mais plus on monte et plus il y a de la lumière, celle qui goutte au travers d’une verrière opaque. A cette altitude, des plantes poussent, il y en a des petites et des grandes : l’escalier gondole plus que jamais.
Des mots sont collés sur les murs, pour souhaiter la bienvenue, raconter une blague ou remercier. Quand on arrive sur le pas de la porte verte, ou bleue, il y a souvent des gens qui fument, pour ne pas indisposer les habitants. Sur le côté de la porte, un feutre pend, près du carré de papier vierge qu’on y a cloué.
Si on reste trop longtemps sur les paillassons multiples du pallier, il se peut qu’on soit bousculé par la circulation, qui relie, par l’escalier extérieur, les deux derniers étages de la même maison. Alors on est poussé au rez-de chaussée.
De l’autre côté de la porte il faut baisser la tête pour éviter les guirlandes étoilées qui tombent du lustre. Il y a des chandeliers un peu partout et un porte-manteau toujours fourni. A gauche, une sorte de placard aux portes vitrées est fermé d’un gros morceau de scotch sur lequel il est écrit « Hôtel California » et qui sert à entreposer toutes sortes de déguisements. Il faut faire attention où l’on marche parce que le chat pique des sprints dans le couloir, dort, ou se fourre dans les pieds.
Dans le salon qui peut être transformé en salle de fêtes en moins d’une demi-heure, tous les meubles sont dépareillés, cassés parfois, aux couleurs diverses, parfois en double comme les deux lampes qui ne marchent pas ou les deux lecteurs DvD qui marchent, mais pas la télé : à moins de coincer la prise péritel avec le pot de sel marin. Il y a des photos de famille et des découpages au mur, et sur la table noire, une nappe en plastique transparent couverte d’étoiles.
De retour dans le hall on emprunte le couloir qui mène tout droit jusqu’aux toilettes à moins de tourner vers la cuisine. Les toilettes ont une lucarne qui donne sur la ville, encadrée des statuettes cassées de deux personnages mexicains. Sur le mur, il est décrit comment procéder dans de gros cœurs rouges en papier : « si tu utilises les toilettes, lave-toi les mains ici » avec une flèche vers un robinet moyenâgeux dont l’eau tombe de trente centimètres sur un lavabo plat et grillagé « avec le savon qui est là », une nouvelle flèche indique cette direction obscure que je n’ai pas encore trouvée.
On peut aussi apprendre à conjuguer les verbes « être » et « avoir » en lisant sur les murs, en anglais, français, espagnol, italien et allemand, les langues que parlent les habitants du lieu. Il faut aussi, malgré toutes ces distractions, prendre garde à ne pas marcher dans la litière du chat, juste à côté de la cuvette pour humains, dont il dépasse de petits monticules bruns que la flemme répugne à nettoyer.
Dans la cuisine, le matin, il y a foule. Certains, en pyjama, prennent le petit-déjeuner, d’autres, en serviette, attendent leur tour pour la douche car le poêle, la baignoire et le réfrigérateur sont concomitants. Tout le monde profite de la radio en même temps et on range les casseroles un peu partout au-dessus des pots d’herbes et de graines. L’autre jour j’en ai reçu une grosse sur la tête en prenant ma douche : elle était tombée d’une étagère. Tout en frottant ma bosse je me suis demandé, ravi, combien d’aventuriers avant moi avaient eu le privilège de se prendre des casseroles sur la tête en se douchant ? Aucun peut-être !
Quand j’ai fini ma douche je remonte à l’étage en passant par la cage d’escalier à l’extérieur, et j’évite le gros paillasson en forme de hérisson qui pique les pieds. Le hall du premier étage ne mérite pas ce nom. Il donne sur trois portes et accueille des plantes vertes, entre les poutres qui soutiennent le toit, et le linge à sécher qui pend du plafond comme une multitude de rideaux désordonnée. Les portes donnent sur des chambres. Elles sont toujours ouvertes, et les fenêtres aussi, pour que le chat et l’air puissent circuler, de la grand place jusqu’à notre linge, de chez nous jusqu’à la grand place, jusqu’au beffroi de Lille dont on entend l’hymne à la joie.
Dans mon nouvel appart, les collocs ne cèdent rien, en couleur, au lieu lui-même. Sur le papier vierge de la porte j’ai laissé une acrostiche, depuis que je me sens ici chez moi, et qui restera jusqu’à ce que le papier déborde de messages et soit remplacé :
Bars, cafés et cafètes cernent notre quartier
Il s’y tient de ces fêtes où vient le monde entier :
Etudiants « erasmus » et amis de passage
Nantis de carmélite, stimulent le brassage.
Venez à votre tour frapper à notre porte
Et conter votre histoire, les récits nous transportent.
Nous vous dirons la nôtre autour d’un bon repas
Une tarte au maroilles garnie de gens sympas.
Emmenez avec vous, huit rue des pâtissiers,
Assez de bonhomie pour des jours d’amitié
Mettons nos cœurs sur table, y en a pour tout le monde.
Il faut plus hésiter, rejoignez notre ronde !
Super sympa à lire :)
Quelle histoire!!! mais rien ne te fait perdre ton humour, à toi!
Joliment raconté!
A bientôt!
Pour moi le meilleur habitat c’est là où nous nous sentons bien.
Sympa de trouver une location hein ^^
Bon tu sais que tu es plus tres loin d’ou je suis le falawis :p
va falloir feter ca :)