Du Chili je me suis retrouvé à Iguazu, comme par magie, si j’omets un paquet d’heures de transports divers : bus, taxi, avion…
Puerto Iguazu, le village près des fameuses chutes d’eau, à la frontière entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay, est une petite ville touristique de terre rouge et de verdure verte. Des bars tendances et des magasins de souvenirs – tous les mêmes – champignonnent un peu partout. Je prends un bus pour voir les chutes : côté brésilien, histoire de mettre un pied au Brésil pour compléter ma collection de tampons et parce que c’est le côté recommandé pour « commencer », pour avoir une vue d’ensemble, tout ça, le coté argentin étant plus favorable à des expéditions ciblées vers telle ou telle sous-chute… Mais arrivé à la frontière, horreur : on me tamponne ma sortie de l’Argentine mais pas mon entrée au Brésil ! WTF ?! Et comment je vais me la raconter à mon retour en France, moi, si j’ai pas d’tampon ?!
Je suis à deux doigts de faire une esclandre et de tout détruire sur mon passage, mais je m’abstiens courageusement pour éviter de me voir attribuer une affiche « Se Busca – 1.000.000 $ » à mon effigie, comme il y en a à chaque poste-frontière et celui-ci en particulier… L’occasion de faire une bonne blague à un ami pour qui dispose d’une imprimante, d’une punaise, et de la photo de l’ami en question : un de ces amis qui ne vous manquera pas trop.
Et pif, me voilà arrivé au pays de Nulle Part, comme Peter Pan, mais avec des papillons au lieu des fées et des bus de touristes au lieu des pirates : le Brésil, version Iguazu Falls.
Les chutes sont organisées en parc d’attraction, avec billetterie, souvenirs etc. On ne s’en approche qu’en bus, selon un circuit prédéterminé, un peu comme à Disneyland, mais avec des vrais animaux au lieu d’étudiants en situation précaires cachés dans des mickeys.
C’est ainsi que, du haut de mon bus à étage, j’aperçois de gros lézards et beaucoup, beaucoup de papillons… Quand même pas des nuages mais disons… hmm… des flappées : on les entendrait faire flap-flap avec leurs ailes s’il n’y avait pas tant de camions.
Arrivé à proximité des chutes je descends du bus pour atterrir devant un panneau : « Ne pas nourrir les coatis » et « Ne pas marcher sur les momraths ». Je sais ce que sont des momraths, mais des coatis ?!
Pour se plier à l’exercice de vous les décrire vite-fait, les coatis sont des sortes de chat-singes avec un nez de cochon long d’une bonne dizaine de centimètres et une tête qui rappelle celle d’un marcassin (j’hésite à mettre une photo ou à laisser vivre votre imagination). Et les coatis ont faim ! Ils furètent (ou « coatisent », en l’occurrence) jusque dans les sacs, ce que les touristes tolèrent parce qu’ils sont meugnons tout plein. Voilà pourquoi la direction du parc a cru bon d’ajouter qu’ils pouvaient mordre, l’interdiction précédemment évoquée manquant d’être convaincante. Et c’est vrai que les coatis mordent : si tu leur piques leur bouffe, c’est-à-dire celle qui était la tienne, avant qu’il l’ait reniflée.
Et les chutes dans tout ça ? Bah c’est grandiose… mais il faut faire abstraction de tout ce qu’il y a autour pour bien les apprécier, sans quoi ce n’est guère plus que de l’eau qui tombe, hélas.
A cette fin je me réjouis d’avoir vu le film « Mission », avec Robert de Niro et Jeremy Irons, qui traite des missions que les Jésuites avaient installées dans la région et qui met en scène les chutes.
Ces missions firent beaucoup pour la survie de la culture Indienne car en les christianisant (faut ce qu’il faut) elles les prémunissaient contre les raids d’esclavagistes brésiliens et leur garantissait la protection du pape, jusqu’à ce que le pape change d’avis.
Le soir je suis retourné dormir en Argentine, et c’est le moment de vous raconter un épisode dont je ne suis pas très fier… je le dois à leur mémoire. De retour dans mon auberge et dans ma chambre, je tombe nez à antennes avec deux gigantesques blattes, dans ma salle de bain, qui s’intéressaient fortement à mon savon, posé sur le lavabo, en remuant des antennes deux fois plus grandes qu’elles… C’était des blattes de la jungle tropicale, pas les mignonnes petites qu’on a chez nous… Et j’ai commencé à flipper. Elles n’avaient rien d’agressif pourtant, tranquillement posées là, sur mon savon, en remuant doucement leurs antennes élégantes : à l’unisson, comme un couple d’amoureux en promenade. Mais l’arrière arrière arrière grand-oncle de mon grand-père préhistorique avait dû être un jour piqué par un truc à pattes du même style, et mourant dans d’atroces souffrances il avait transmis à la tribu l’idée que c’est dangereux ces machins-là… Idée transmise jusque dans mes gênes. Mon cerveau ne cessait de me le répéter en tous cas : « Y a danger mon vieux !! » Une guêpe m’aurait fait moins peur, alors que les guêpes piquent et les blattes pas. C’est comme ça.
Balaises ces blattes, longues comme mon doigt… avec des antennes pareilles… J’ai commencé à flipper ! Je me voyais pas dormir avec elles et participer à leur plan à trois lubrique, mais ne voyais pas non plus comment m’en débarrasser sans leur faire mal… Autant elles étaient toute tranquilles là, autant elles pouvaient se mettre à courir dans n’importe quel sens et plus vite que mes yeux pour se cacher dans un coin et revenir pendant mon sommeil pour me bouffer les intestins en passant par l’anus. J’ai senti le réflexe du tueur monter en moi… J’ai essayé de me contrôler en me répétant : « Nabolo, trouve leurs des noms, vite, putain des noms !!! » Car le nom à cet effet magique qu’il fait d’une chose inconnue une chose connue. Et le connu ne fait pas peur. Mais alors que je leur cherchais des noms, de la force de ses minuscules pattes, l’une des blattes a soulevé mon savon et l’a fait tomber du lavabo ! Nos regards se sont croisés, comme un éclair. J’ai plus de dix ans de rugby à mon actif et je sais parfaitement ce que ce geste signifie. Comme un flashback, j’ai revu mes tourments dans le vestiaire, ces savons qui tombaient à répétition, encore et encore… PLUS JAMAIS CA !!!!
J’ai honte de ce qui s’est passé ensuite, mais j’ai tué. Par peur. On est violent que lorsque l’on a peur de ne pas être assez fort. C’était horrible… Spécialement parce que ces blattes étaient extra-rapides et extra-résistantes, continuant de lutter pour leur survie une fois blessées. Ça a duré longtemps. Aujourd’hui je m’en veux. C’était facile comme réaction… plus jamais ça. D’ailleurs le lendemain, lorsqu’une nouvelle blatte est venue me rendre visite, je l’ai poussée du bout de ma bouteille d’eau et elle a détalé gentiment sans demander son reste. C’était facile de s’entendre en fait, à condition de bien vouloir communiquer.
Retour aux chutes, côté Argentin cette fois : c’était Eurodisney aussi, une sorte d’Aquacity géant. Mais plus écolo ou mieux écolo que le côté brésilien et de loin ! Déjà on est accueilli dans le parc par des photos d’animaux renversés sur la route pour nous inciter à conduire moins vite… Sauf que personne ne conduit ici puisque il y a un petit train, beaucoup plus écolo que les dizaines de bus du coté brésilien. L’Argentine a également mis fin aux visites en Hélicoptère, contrairement au Brésil, lesquelles visites sont extra-polluantes. Il y a des animaux aussi côté Argentin, plus même, puisque il y a des capucins (des p’tits singes) en plus des coatis. Les panneaux brésiliens disent de ne pas nourrir les coatis à côté de poubelles grandes ouvertes ; les poubelles côté argentin sont, moins hypocritement, fermées et verrouillées… Même si ça n’empêche pas des gens d’inexplicablement jeter leurs canettes, leurs bouteilles et des pièces dans l’eau. J’aime l’humanité mais qu’est-ce qu’elle est conne : je le vois bien quand je m’auto-observe. Ça me fait songer que c’est peut-être pas plus mal que des groupes d’humains se réunissent pour décider à plusieurs de s’entre-interdire des trucs, et même si je suis plutôt pas fan des Etats.
Deux lignes plus haut je vous le disais : qu’est-ce que je suis con, et effectivement puisque j’ai payé pour polluer la rivière en montant dans un bateau qui amène les touristes au plus près des chutes… L’irritante contradiction du type qui condamne mais qui veut quand même essayer. Si j’arrive à décourager au moins l’un d’entre vous de faire de même, quelque part je me rachète… Et franchement l’expérience n’en valait pas la bougie : à cause de l’odeur d’essence, à cause des cris de mes voisines… En regagnant la rive j’ai répondu aux questions d’une sondeuse en ce sens : je ne suis pas venu à Iguazu pour faire du toboggan et du grand huit, mais pour être au plus près de la nature (sic). Elle est repartie voir la direction du parc avec mes réponses, et tout devrait être arrangé d’ici deux mois (ou pas).
Je suis reparti vers la sortie du parc, à pied plutôt qu’en bus pour m’auto-punir d’avoir pollué, ce qui m’a permis de découvrir un truc marrant : que les Argentins estiment les distances en cuadras (en « blocs » de maisons quoi), même dans la jungle ! Et comme je me trouvais à un sacré paquet de cuadras de la sortie, j’ai quand même fini par prendre le bus… Loser.
De retour à Puerto Iguazu je prends mes affaires et je m’en va. Je descends vers le sud, vu qu’il est difficile de descendre vers le nord, et je vais visiter ces villes, à la frontière paraguayenne, qui sont les vestiges des missions de jésuites précédemment évoquées. Posadas fait partie de la liste, et je suis bien content qu’il y ait une application facebook pour me permettre de marquer des points à chaque nouvelle destination, sans quoi je tiendrais ce genre d’étape pour quasi inutile, vu qu’il n’y a vraiment pas grand-chose à voir à Posadas, malgré ce que peuvent en dire les guides, vendeurs de destinations, qui sont capables de trouver ses poubelles belles pourvu qu’il y ait un hôtel qui leur achète une pub dedans. Ceci dit Posadas n’est pas une poubelle, c’est juste une ville, avec des maisons, des magasins, un pont et des rues, notamment la rue de Lanusse dans laquelle je me suis aventuré par hasard. Eh ben c’était pas désagréable.
Finalement, parce qu’on m’avait dit qu’en Argentine, fallait absolument voir Salta, dans le nord-ouest du pays, je prends un billet de bus, et huit heure plus tard on me demande mon passeport, à la frontière uruguayenne… bizarre… et aucune question sur les fruits et légumes que je transporte ?! Re-bizarre. Tout s’explique lorsque le bus rejoint son terminus : à Salto. Comme quoi une simple erreur de terminaison peut te conduire au mauvais terminal.
Tant pis pour Salta : au moins j’aurai vu l’Uruguay, qui se révèle assez semblable au sud de la France puisque il y a du soleil, des petites places bordées de platanes et des arènes ici et là. Le pays est riche, nourri au dollar américain, et moi je suis crevé : je m’effondre dans un nouveau lit en zappant bêtement devant la télé, à moitié endormi. Mais j’arrête bien vite, à cause du froid, en me rendant compte que c’est la télécommande de la clim’ que j’arrête pas de zapper.
Quid de l’Uruguay ? D’un point de vue argentin, à ce que j’ai compris, c’est un peu la Belgique ou la Suisse pour la France : le plus proche voisin culturel, certains Argentins ignorant même qu’il s’agit d’un autre pays… ou est-ce une technique pour s’approprier ses territoires ensuite ? Coquins ces Argentins ! Coquinstadors même ! Je blâme ses gouvernants mais je félicite son peuple pour sa bonne humeur et son ouverture, même si je réalise, maintenant que je les connais mieux, qu’une partie de leur capital-sympathie vient d’un tic de langage : quand vous les remerciez, ils répondent « No, por favor ! » avec une incroyable conviction, comme si l’idée qu’ils venaient de vous rendre un service digne de remerciements était insultante. Mais cette remarque n’enlève rien à la réalité de l’amabilité que dégage ce peuple : bien que je ne connaisse pas le pays suffisamment en profondeur je dirais que l’Argentine est un endroit où il fait bon vivre, et même si je préfère des destinations plus exotiques pour ce qui est de s’aventurer. L’aventure de ce voyage en Amérique du sud-sud se termine d’ailleurs aujourd’hui, et si vous voulez la lire depuis le début il faut commencer ici.
PS: à la demande d’une de mes chères lectrices (elles sont tellement rares, comment pourrais-je le lui refuser ?) je reviens sur la fin de cet article. C’est fatigant de raconter un voyage en sept ou huit fois, mais je pourrais peut-être essayer de vous dire comment il se résume à présent dans ma tête. Avant de partir, j’y projetais l’Argentine comme le territoire du même nom sur le plateau de jeu de Risk. Le Chili, l’Uruguay étaient inexistants, le Brésil c’était Rio de Janeiro et la forêt amazonienne… Depuis mon retour, ces données géographiques se sont muées en une sorte de boucle d’images, je vois Buenos Aires avec des sensations de chaleur, des jeunes gens sur des pelouses, de grandes rues sèches et ensoleillées et des quartiers touristiques colorés, animés, où l’on danse le tango; puis je survole de gigantesques plaines parsemées de gauchos, jusqu’à sentir le froid et l’odeur de l’air quand je me retrouve en Patagonie, avec ses vastes paysages, de la verdure et des animaux, des oiseaux… La carte se complète, un peu comme ces cartes d’enfants où les différents sites/caractéristique du pays sont présentés par des illustrations, des lamas, des fossiles de dinosaure, des vignes et du vin… La frontière chilienne qui se traverse en bus dans des montagnes brunes aux pentes enneigées; Valparaiso et la côte chilienne que remontent les bateaux fantômes de l’époque révolue où le canal de Panama n’existait pas encore. Mon œil se déplace sur la carte, vers la frontière brésilienne où jaillit la forêt tropicale, ouverte sur un cratère géant d’eaux grondantes et virevoltantes que des jésuites remontent tant bien que mal avant de repartir dans l’autre sens, suivis d’indiens qui fuient l’arrivée d’esclavagistes brésiliens. Je les suis jusqu’au sud où ils construisent leurs missions et perfectionnent leurs chants tout en apprenant le violon, et finalement créent un pays, le Paraguay, que je frôle à peine pour aller de l’autre côté, en Uruguay, colonie proprette et calme avec ses petits forts et ses petits canons qui regardent la baie dans laquelle se sont engouffrés les navires de bois européens en quête de ces monceaux d’argent que jamais ils ne trouvèrent. De l’autre côté c’est l’Argentine. La boucle est bouclée. Ma planète bleue de mon imaginaire a pris un peu plus de volume et un peu plus de vie : j’ai encore plus de considération pour l’ailleurs que je n’en avais avant, « it’s a small world after all », si seulement nous parvenons à le protéger de la mondialisation, c’est à dire d’un capitalisme asservissant, uniformisant et destructeur qui clone un certain aspect détestable de l’Occident partout à la surface du globe.
J’espère avoir été plus complet sur mon sentiment :p
Excellent. Il ne manque guère qu’une référence à la course-poursuite dans « Rio ne répond plus » (et le fait que j’y ai demandé Julia en mariage, mais ça tout le monde s’en fout)…
Effectivement: ce dernier détail m’avait échappé… :/