Jéroméo, l’aventurier de l’Amour
dans
PUBOLLYWOOD !
En tant qu’aventurier de l’Amour, j’ai tout naturellement songé à embarquer pour l’Inde, mère-patrie de cet ouvrage célèbre, perfection de sensualité et d’érotisme qui a marqué l’humanité toute entière : je veux bien sûr parler du pyjama. Pour attirer l’Amour, j’y relance ma carrière d’acteur, avec d’autant plus d’à propos qu’elle tarde à tout péter sur le vieux continent.
Bollywood. Sa fraîcheur de vivre ; ses chewing-gums. Ici, tous les espoirs me sont permis. Grâce à mes talents de comédien (et peut-être aussi la pénurie de figurants blancs) j’hérite coup sur coup du rôle de méchant-colonisateur qui se fait tabasser par la star. J’admets qu’il m’arrive d’être secondé par des figurants autochtones, quand ces reconstrictions historiques mettent en scène des batailles de plus grande ampleur, mais c’est toujours MON cadavre qu’on positionne sur le dos, en haut de la pile… Peu m’importe à vrai dire : sache, petite, que l’aventurier de l’Amour se fout de la gloire, elle n’est qu’un prétexte pour t’attirer dans ses bras. Et je comptais sur mon impresario pour renouveler les prétextes depuis un petit moment déjà quand l’autre jour il m’appelle, pour m’engueuler, parce que je suis en retard à l’audition dont il a oublié de me parler la veille. Je bondis alors dans un rickshaw, en direction d’un quartier lointain et inconnu, vers une adresse mystérieuse et indéchiffrable… Une sorte de défi comme la vie m’en réserve souvent (c’est normal pour un aventurier). Tiens, regarde, il me l’a envoyée sur mon portable :
« Siddha nagar,best colony,opp gajanand temple lane,part 2 B 50/200,road no 4,goregaon w. Skystar adv, part-2. »
Texto. Par texto.
Comme je suis un héros, j’ai fini par arriver, juste avant 18H00 : la ultima hora. Un type m’explique alors le concept de pourquoi je suis là:
– C’est pour une pub pour un nouveau téléphone portable avec une recharge à pile ; vous êtes un homme d’affaires et vous racontez à la caméra que vous avez besoin de rester en contact permanent avec vos clients et vos associés, et qu’il n’est pas toujours facile de trouver une prise, et donc ça vous fait perdre des clients. Compris ?
– Oui.
– Bien. L’idée est donc la suivante : vous êtes un homme d’affaires et vous […] perdre des clients. Compris ?
– Oui.
– Il va donc falloir que vous incarniez ce personnage, et que vous […] perdre des clients. Compris ?
– Oui.
Le doute subsiste chez sa collaboratrice :
– Vous comprenez ?
– Oui.
Ils s’imaginent que leur script a de quoi me déstabiliser, mais moi aussi j’ai regardé la télé dans les années 80. Et puis je suis acteur, merde ! Je reviens à peine d’un tournage avec des stars que j’ai laissées en plan parce qu’on m’a interdit de riposter, alors je suis pas n’importe qui.
C’est le moment de poser des questions qui mettent en avant mon professionnalisme, du style : « Et comment allez-vous me filmer, gros plan ? Petit plan ? Biplan ? ». Ils me demandent, soupçonneux, pourquoi je veux savoir ça ? J’explique que c’est pour le body-language, pour savoir si je dois jouer du corps, des mains ou du visage. Là le mec se sent de me réexpliquer une quatrième fois ce que je dois faire. Je le coupe, lui assurant que c’est tout vu, et sa collaboratrice de me redemander si j’ai compris, l’occasion ou jamais de m’interroger tout haut sur ce qu’on attend pour sortir la caméra, bordel ?
Ce qu’on attend, c’est la grosse voix qui résonne dans le couloir. Un rustaud fait son entrée qui ne m’adresse pas un salut ! Il se contente de m’expliquer l’idée, que je trouve assez novatrice : il s’agit pour moi d’incarner un homme d’aff[…] perdre des clients, compris ? Je jure-crache que oui sur la vie de mes ancêtres ; je répète encore tout bien comme il faut et on tombe d’accord.
Je suis en mode « anaconda-repus » en fait. Tongs et lunettes de soleil dans les cheveux (sauf pour les tongs que j’ai gardées aux pieds), genre : allez-y, désirez-moi ! Ca marche bien ; ils me demandent si je suis acteur en France et je dis que oui-bien-sûr, mais seulement au théâtre (dès fois qu’ils réclament des preuves vidéos), ce qui n’est pas tout à faux mais qui est assez loin d’être vraiment vrai. Le rustaud apporte des précisions : il m’apprend que la pub sera doublée en hindi et que, puisque je suis Fronçais (ou quoi que je sois qui n’est pas anglophone), je peux passer l’audition dans mon propre langage, l’important étant que mon discours soit fluide, et que j’adopte les bonnes expressions. Je dis « ok, c’est parti » et il me prend au mot : « Action ! » :
« Vous savez, mon boulot à moi, c’est homme d’affaires… »
« …et c’est pour ça que j’ai ce besoin important de rester constamment en contact permanently avec mes clients et voilà, truc-bidule, je sais plus quoi dire à propos de ce téléphone portable qui est super achetez-le leu-leu. »
J’ai beau escamoter le texte, ils ont les yeux bouches bées d’admiration. Alors je fais mine de marquer une pause volontaire, je saisis la pile AA que j’ai oubliée sur une table et je poursuis :
« Eh donc oui, voilà, c’est comme ça qu’on le recharge, ce téléphone de merde j’arrive pas à l’ouvrir, putain, parce que c’est pas toujours facile de trouver une prise murale ou d’avoir son chargeur sur soi vous comprenez, achetez-le c’est vraiment super mais maintenant il faut que je vous laisse, putain, fait chier, pute »
Je lance un dernier regard affectueux au téléphone, comme si c’était mon fils, et parce qu’à ce stade il me semble que, grosso modo, j’ai tout dit ce qu’il y avait à dire, je fais face à la caméra et j’attends le « Coupez ! » final que mon rustaud retient de toute la force de ses lèvres, tellement qu’il espère que le spectacle continue.
Bon gré, mal gré, il finit par lâcher :
– Assez, assez, ça suffit ! C’était simplement parfait. On se revoit dans deux jours pour le tournage.
J’aurais aimé que tu sois là, petite, pour filmer mon geste, en slow motion, quand il a dit ça : je me suis légèrement tourné vers le mur pour reposer le téléphone que je tenais dans une main et la pile AA que je tenais dans l’autre, et j’ai souri de la bouche à cette nouvelle victoire. Je suis sûr que j’étais très beau en plus… ‘fait chier qu’il n’y ait pas de témoins !
J’ai pris les détails du rendez-vous du surlendemain et mon agent a réclamé le salaire convenu à voix basse, comme d’habitude, pour pas me mettre mal à l’aise : les artistes ont leur sensibilité vois-tu, et ça mon agent l’a bien compris.
J’ai remis mes lunettes de soleil et je suis allé m’aventurer dans la rue pour voir si l’Amour trainait dans le coin… Mais c’est encore une autre histoire !
D’ici que je te raconte, petite, rappelle-toi de toujours emprunter le chemin de l’Aventure. Et qui sait ? Il te mènera peut-être jusqu’à moi.
With love,
Jéroméo, l’aventurier de l’Amour.
Ps : si tu n’aimes pas marcher, mon numéro et mon adresse sont disponibles à la rédaction…