Juillet à Lille. Quelle aventure. Le jour il pleut, le soir on boit dans des bars qui passent du Claude François, du Gilbert Montagné ou d’autres chanteurs morts. Du coup la journée je bouquine ou j’écris, dans le coin que je me suis aménagé dans ma chambre, entre ma bougie-qui-sent-bon et mon palmier nain… et c’est ainsi qu’hier, tout à coup, sans crier gare ni aéroport, j’entends quelque chose qui gratte au plancher… avec de plus en plus d’insistance, comme si « ça » voulait sortir, remonter à la surface !
Mon instinct d’aventurier ne fait qu’un tour : je me saisis d’un pied de biche qui trainait par là pour soulever une planche… et qui vois-je sous mon plancher ? Qu’y trouve-je ? René Goscinny ! Lui-même ! Ou plutôt son squelette, hyper énervé, qui me tend une bd de ses doigts osseux et me demande ni une ni deux :
– C’est quoi ce bordel ?!
Je me saisis de l’objet pour découvrir qu’il s’agit du dernier opus d’Astérix : « Le ciel lui tombe sur la tête » que je n’avais pas encore lu et que je commence donc à feuilleter, tandis que René poursuit sa gueulante :
– J’en finis plus de me retourner dans ma tombe ! Fallait que je sorte, marcher, courir… faire un tour pour oublier. Mais qu’est-ce qui lui a pris ?!
Je lui tends le verre d’eau auquel mon palmier nain n’a pas touché, comme d’habitude (bien que je lui donne régulièrement, comme c’est marqué) et je lui propose de s’asseoir et de se relaxer Max.
– Ben tu vois bien, lui dis-je, c’est écrit en gros sur la couverture : le ciel lui tombe sur la tête.
René ne sourit pas, et j’ai comme qui dirait l’impression que je ne suis pas le premier à lui sortir cette vanne.
– C’est pas mal, ajoute-je, une fois au bout de ma lecture (plutôt rapide) : ça se lit plus vite que d’habitude, y a moins de texte, moins de dessins, moins de fond… C’est plus efficace comme style. Mais faudrait peut-être ramener le prix de dix à un euro…
René ne dit plus rien. Mais je vois qu’une grosse larme perle au coin de son trou oculaire.
– Ou alors faudrait fournir des lunettes 3D… Pour pouvoir apprécier le design du vaisseau spatial. Parce que c’est vrai qu’à l’œil nu c’est moche… Ce qui est dommage compte tenu du fait qu’il prend quand même pas mal d’espace sur un grand nombre de pages.
Je dois pas trouver les bons mots parce que René éclate en sanglot sur mon épaule, et je ne peux que compatir avec lui étant donné qu’effectivement, le dernier opus d’Astérix est une merde de mauvais goût… Oui, il y a des merdes de bon goût, mais pas celle-là.
J’avoue que je me réveille un peu tard, vu que la chose est sortie en librairie depuis un moment déjà, mais j’ai longtemps repoussé l’échéance de cette lecture… et je regrette de ne pas avoir fait durer le plaisir de ne pas lire ce truc (et puis j’ai bien mis 80 ans à critiquer « Tintin au Congo » alors ce coup-ci je suis quasiment dans les temps).
Qu’est-ce qu’on a dans ces 49 pages d’enfer et de honte ? Ben je vais vous le dire vu que si y a bien une chose que je vous souhaite, c’est que vous ne les lisiez pas…
L’action se passe en Gaule, la chère Gaule d’Astérix qui menace d’être envahie par les méchants bridés, ces sales jaunes aux yeux pas-pareils-que-chez-nous, ces bouffeurs de riz qui sont trop nombreux et risquent de conquérir le monde (ces propos peuvent choquer mais je ne fais que mettre en lumière – de manière soft – la leçon de morale infligée par « l’œuvre »), sauf que, heureusement, les superman-américains et un télétubby anglais sont là pour nous sauver, nous autres Gaulois, de leur abrutissante influence.
Quand je dis que l’action se passe en Gaule, elle se passe surtout devant le village d’Astérix, sur environ dix mètres carrés de pelouse. C’est sûr que dans cette aventure on ne se déplace pas beaucoup ! Ce qui représente un sacré gain de temps niveau décors : quelques bouts de palissade, du vert, du bleu et une vraie économie de maisons en ce qui concerne le village qui se trouve changé en micro-hameau : une vue aérienne du lieu permettant de dénombrer en tout et pour tout une dizaine de chaumières. Ca fait short comparé à l’habituelle population du village, ce qui peut s’expliquer facilement si les gaulois-figurants ont eu la lucidité de déménager pour éviter d’apparaître dans cet épisode. En fait c’est plutôt cohérent.
Mais bref, passons, avançons, et ne perdons pas trop de temps sur des détails alors qu’il nous reste encore un scénario fort complexe à analyser. C’est le suivant :
- Des extra-terrestres en guerre survolent la Gaule et vont se retrouver juste au-dessus du petit village que nous connaissons bien (jusque là ça passe… ca fait mal par où ça passe, mais ça passe).
- L’un de ces extra-terrestres, le « gentil », est un télétubby anglais, très gentil, très creux et qui s’est trompé de bd : il s’est perdu au-dessus du village gaulois dans la grosse couille tendance 3D, le « vaisseau spatial » que j’évoquais tout à l’heure et qui permet de remplir facilement les pages de cette bd que l’auteur n’avait pas envie de dessiner pour autre chose que le pognon, le plaisir masochiste de plomber sa réputation ou parce qu’il a trop bu de potion magique et que clairement c’est l’overdose.
- Or donc, Toune (c’est le nom du télétubby + je déconne pas) est rattrapé par son pire ennemi, une sorte de bonhomme…. Hmm… comment le décrire ? C’est le frère jumeau du méchant dans « Le grand fossé », celui qui est décrit comme ayant une tête de hareng et sentant le poisson pourri… On découvre dans « Le ciel lui tombe sur la tête » que c’est comme ça qu’Uderzo présente et se représente les Japonais. Le bonhomme jaune parle bizarrement, il conduit un vaisseau apparenté à Goldorak et attaque les Gaulois et le télétubby qui se défend en appelant à la rescousse des supermen américains cons mais super forts (mais moins fort qu’Obélix quand même, cocorico ! On a enfin la réponse à la question« qui est le plus fort entre superman et Obélix ? » que personne ne se posait).
Bref, je sais plus trop ce qui se passe à la fin, j’ai plus la bd sous les yeux (vous pensez bien que j’allais pas l’acheter) et Goscinny m’a arraché son exemplaire des mains pour le bouffer, mais les méchants extra-terrestres Nagmas (pour « manga ») sont vaincus ! La bd franco-belge repousse les mangas en s’alliant à un personnage d’émissions culturelles pour futurs supporters de Manchester United et aux supers héros républicains… Mais nom dé diou, San Goku ! Que n’es-tu intervenu dans cette « bd » ?! Il ne manque qu’un kaméhaméha pour raser le village du petit Chauvinix et de son gros Xénophobix de pote !
Ca fait mal.
Ca me fait mal.
Quand j’étais petit j’étais fan d’Astérix. A sept ans j’ai dit à ma mère : « C’est mon héros, je veux être comme lui ! » (je l’ai aussi dit pour Actarus, Popeye et Candy mais ne nous attardons pas) et je le dessinais partout sur mes cahiers d’école et là quoi… ? Au fil des pages de ce qui sera peut-être sa dernière aventure, voilà que ses traits se transforment peu à peu en ceux de Marine le Pen (avec une variante dans la moustache)… C’est gore !
Et pour couronner le tout, au cas où les subtiles métaphores de l’auteur auraient échappé à quelqu’un, Uderzo précise en post scriptum : « Walt Disney c’est le meilleur, je lui dois tout. ».
On peut savoir ce que ça fout à la fin d’une bd d’Astérix censée mettre en scène des Extra-terrestres ? Est-ce que Spielberg a mis une note : « Merci à MacCarthy, mon maître à penser ! » à la fin d’« Indiana Jones et le crâne de crystal » ? Non !!! Il aurait pu mais non !
Bref, « Le ciel lui tombe sur la tête » est une bd hideuse, en plus d’être chiante et à peu près sans aucun intérêt, à part qu’elle nous enseigne que l’espèce de poisson qui fout la merde dans « Le grand fossé » est censé représenter un asiatique, et qu’elle lève le voile sur la xénophobie d’Uderzo qui n’a jamais du lire un manga de sa vie… ou alors pas dans le bon sens.
– Bah… c’est pas si grave René, dis-je en posant une main amicale sur l’épaule du squelette en larmes. Il a chié sur ce coup là, et sur le coup d’avant (« Astérix et Latraviata »), et sur le coup d’avant (« La galère d’Obélix ») et le coup d’avant aussi mais il a quand fait de bonnes choses, comme « Astérix chez Rahazade », et de toute façon, ce n’est pas cette épisode d’Astérix qu’on retiendra.
– Tu crois ? me dit-il en essuyant ses larmes.
– Oui, et puis il a finalement accepté que les aventures d’Astérix continuent, alors espérons, rien n’est perdu. Peut-être qu’un jour, qui sait, nous lirons Astérix en manga ? Ce sera mieux que le torchon que c’est devenu.
Sur ces bonnes paroles, Goscinny m’accompagne jusque dans le jardin pour que je l’aide à se ré-enterrer, en espérant qu’il n’ait pas besoin de re-déménager tout de suite.
Ps : je précise que si je me permets de blâmer Uderzo sur une page de blog (il le mérite bien), je n’en aurais pas assez pour l’encenser toutes les fois qu’il l’a pareillement mérité.
Signé : Florent Brunel.
Dis-donc, le blog de Nabolo se transformerait-il en tribune satyrique ?
En tout cas, comme tout pamphlet, cet article critique avec une froide objectivité plaisante les défauts de cette horreur de BD.
Bravo, je vous offre la médaille du sens critique !
Kata’
Merci! :D (ça vaut combien en Nabolo-points…?)
Waaaaaah, « ça clash », comme disent les jeunes (les autres, ceux qui fument et mettent des jogging sous leurs chaussettes), mais pour le coup on peut pas dire autrement : cet album est une grosse merde bien pourrie, ouais !
Sinon, pour le palmier nain, essaye de lui mettre une paille et une toute petite touche de grenadine, c’est du genre difficile les palmiers nains.
La médaille du sens critique ? On va dire un demi nabolo-point tout rouillé retrouvé collé sous une table avec un chewing-gum.
Kata’.
Ok, bah, je te file ça.
Chouette, c’est un collector !
Merci Nabolo, mon maître à penser !
Kata’strophe.