Je m’étais proposé comme barman quelques mois auparavant, non sans culpabilité en songeant à la grande quantité de verres, bols et assiettes que j’ai fracassés tout au long de mon existence : je leur faisais pas forcément un cadeau en postulant. Pour moi ce serait un défi à relever, et si ma modestie naturelle ne l’empêchait, je clamerais volontiers que je suis devenu l’un des meilleurs barmans de la galaxie intersidérale.
Ceci dit, être barman (ou serveur)(mais on va dire barman : ça fait plus héroïque) c’est avant tout faire partie d’une équipe qui travaille autour d’un bar. C’est un peu comme un sport d’équipe, genre « balle au prisonnier ».
Je m’explique : autour du bar il y a trois catégories de personnes. Les « salles » qui circulent en salle, les « bars » qui restent derrière le bar et les « runners » qui sont les seuls à pouvoir sortir du terrain de jeu (pour aller chercher des burgers à la cuisine par exemple). En plus de chercher les burgers, les « runners » ont aussi pour mission de mettre, débarrasser et nettoyer les tables ; changer les cendriers ; se faire accuser de ne pas être là lorsqu’ils sont en cuisine et ne jamais toucher de pourboire : ce qui en fait le poste le plus ingrat de cette grande équipe, l’équivalent des « waterboys ». A titre comparatif : les « salles » et les « bars » prennent les commandes, font des blagues avec la clientèle et touchent des pourboires. Notre équipe comptait une douzaine de personnes et nous nous sommes mis d’accord dès le début pour partager les pourboires et tourner à chaque poste au fur et à mesure de nos deux semaines de jeu… Le but ? Ne jamais se laisser déborder par la demande. Si un « salle » reçoit une commande de burger, hop, il la passe à un « bar » qui la tape en touche/à la machine, ce qui équivaut à un dégagement vers la cuisine où le « runner » réceptionne le burger, le passe au « salle » qui le passe au client.
Quant il y a trop de demandes, le « salle » est prisonnier derrière le bar d’où il exécute directement les commandes, tandis que le « runner » est dans la merde, obligé de se frayer un passage pour nettoyer les tables et changer les cendriers.
Voilà pour la dynamique d’équipe.
Le poste où je me suis le plus éclaté est celui de « salle » où j’étais en relation directe avec la clientèle. Je m’y suis senti comme un oiseau dans l’air : il s’agissait d’être aimable et de faire des blagounettes… un max de blagounettes. Pour tout dire je suis même devenu une machine à blagounettes. Un peu façon Spiderman lorsqu’il chope un groupe de malfrats, sauf que moi j’étais Barman et je chopais des groupes de commandes. Démonstration :
- -Vous voulez une bonne bière ? Désolé, on n’a que de la mauvaise.
- – Vous voulez une petite bière ? Ca veut dire que je remplie le verre qu’à moitié ?
- – Vous voulez une bouteille d’eau plate ? Désolé, on n’a que des cylindriques.
- -Ce n’est normalement pas possible mais je vous ramène un poisson sans citron au péril de ma vie.
- – Désolé pour le retard, il a fallu tuer le poisson à mains nues (et au péril de ma vie).
- – Excusez-moi, les prix viennent de doubler au bar… Mais comme vous m’êtes sympathique je vous fais une réduc’ de 50%.
- – Quelle cuisson pour votre tartare ?
…et X autres vannes qu’autorise la fantaisie humaine, Muses, merci !
Ceci dit, et bizarrement, mes efforts n’ont pas déclenché de hausse significative de mes pourboires… Alors pourtant que tous les serveurs n’étaient pas aussi drôles, j’en veux pour preuve l’exemple de ma petite collègue qui m’a posé une bonne vingtaine de fois la (navrante) devinette que voici : « Pète et Répète sont dans un bateau. Pète tombe à l’eau, qui reste-t-il ? ». (NB : j’ai trouvé la bonne réponse à chaque fois)
A propos de pourboires d’ailleurs, moi qui n’en donne quasiment jamais, ça ne m’a pas choqué de ne pas en recevoir, ni donné envie de changer de ligne de conduite : parce qu’on ne m’a pas donné souvent alors que je suis dix fois plus pauvres que les gens que je servais et sept virgule cinq fois plus sympathiques que ceux qui me servent d’habitude et parce que, quelque part aux tréfonds de l’univers, ce raisonnement a sa logique.
Mine de rien, être barman, c’est un métier plutôt technique : faut faire gaffe à comment tu poses les verres sur le plateau et surtout à quand tu les retires, sans toucher les bords du verre avec tes doigts (pas devant le client en tous cas). La main gauche se met sous le plateau, en mode freestyle, mais t’as le droit de t’aider avec la droite, même si c’est vachement moins classe. Alerte danger : lorsqu’un client bien intentionné veut t’aider à retirer les verres de ton plateau. Ca déséquilibre l’ensemble qui finit par terre, et t’es obligé de gueuler sur un « runner » pour qu’il vienne tout nettoyer. Entre autres choses : faut penser à filer des verres quand tu sers une bouteille ; faut pas prendre les glaçons avec les mains ; quand tu passes devant une table faut montrer ton cul si t’es un homme et ta fouf’ si t’es une femme (j’ai pas bien compris pourquoi mais je tiens ça d’un de mes responsables) ; si tu sers des coupes de champagne pense bien à tenir le pied : les coupes de champagnes sont dézayenées exprès pour tomber quand tu les transportes, c’est le cauchemar du serveur en salle !
Mais le VRAI enjeu de la vie de la mort d’être barman, c’est de réussir à tirer correctement la bière. Je rigole pas : certains de mes collègues se sont entregénocidés pour savoir comment positionner le bitoniau pour obtenir la pression idéale… Je vous décris rapidos une machine à bière : un robinet avec la grosse manivelle que tout le monde capte (pour faire sortir la bière) et une petite manivelle que tout le monde capte pas (pour régler la pression). Par exemple, si tu veux faire une blague, tu peux mettre la pression à fond pour qu’il y ait de la mousse qui gicle de partout, chose qui fera marrer ceux d’entre nous qui ont gardé une âme d’enfant (mais les autres, moins). En tous cas, lorsque tu as réglé la pression idéale grâce à la mollette, la technique c’est de coller le verre contre le robinet UNE seconde après avoir tiré le manchon pour pas choper la mousse du début et de retirer le verre JUSTE avant de repousser la bobinette (et la chevillette cherra), pour pas choper la mousse de fin (quoi qu’il faille tout de même deux doigts de mousse à ta bière pour en faire une « perfect »).
Mon truc à moi ? Quand tu fais une bière sous les yeux du client et que ta bière est composée à 70% de mousse tu demandes à l’encaisser d’abord pour l’attirer près de la caisse et tu lui refiles une vieille bière que tu as tiré tout à l’heure et dont la mousse a eu le temps de démousser : malin !
Aussi, et comme tout métier, le métier de barman/serveurman compte son lot de plaisirs secrets :
- Neumbeurre Oine : arracher une feuille de ton petit calepin d’un geste sec (mais néanmoins voluptueux) pour le tendre au-delà du bar en criant très fort : « Deux bières pour la douze ! ».
- Neumbeurre Tou : déployer toute ta force au moment d’arracher un nouveau sac poubelle des autres sacs poubelles (jouissif).
- Neumbeurre Sri : Porter un plateau vide, bras dressé vers le ciel, en bousculant les gens pour rejoindre le bar tout en criant « Pardon ! » sans le moindre soupçon de sincérité = orgasmique (option polyglottes : crier pardon dans toutes les langues = multi-orgasmique)
Et c’est surtout un métier riche en interactions avec la clientèle ! J’ai tchatché comme un dingue, je me suis fait draguer (bon, pas souvent et pas par des toutes jeunes), j’ai sympathisé, et du coup j’ai appris plein de trucs sur la Suisse et les gens qui peuplent ce beau pays… (suspense) : les Suisses.
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