Je sens bien que c’est ce titre, pour le moins énigmatique, qui vous pousse à la lecture de cet article.
J’ai déjà présenté la philosophie de l’Aventure dans ses grandes lignes à travers trois autres articles (Philosophie de l’Aventure etc., Actes Altruistes & Egoïstes, Genèse du Club des Héros) aujourd’hui je me propose de vous donner un exemple concret de la manière dont la philosophie de l’Aventure peut-être appliquée lors d’un banal week-end.
Situation de départ :
Mettons que le week-end dernier, un philosophe de l’Aventure lambda se trouvait à Lille, son lieu de résidence, avec sa copine. Où trouver l’aventure ? Lille est une ville qui bouge et il y a pas mal d’aventures à vivre là-bas pour peu qu’on s’en donne la peine mais, parce que voyager est plus rare que de passer le week-end dans sa ville de résidence, et donc plus fécond en aventures, le couple saisit cette opportunité de briser le quotidien.
Le samedi matin ils se rendent à la gare avec ce projet fou de passer la frontière la plus proche, celle d’un pays exotique et sauvage : LA BELGIQUE.
Entrer dans l’Aventure :
Afin de mieux se plonger dans l’aventure dès le début du voyage, ils prennent soin de partir en retard et de ne pas réserver de billets de train. De ce fait, leur entreprise prend le goût du risque et de l’inaccoutumé.
Ils montent donc dans le train au dernier moment, sans billets et, afin de conserver un taux d’adrénaline acceptable, ils décident de ne pas se présenter au contrôleur du train mais d’élaborer une stratégie au cas où lui viendrait les trouver, ce qui hélas ne se produit pas.
Une fois dans l’Aventure :
Quoi qu’il en soit, les bases sont posées et le temps, qui est le pire ennemi de l’Aventurier, ne peut plus s’écouler en douce : le couple est conscient de sa présence, attentif à chaque minute qui passe. Même avec une préparation aussi sobre ils ont de quoi mettre leurs sens en éveil et sortir de la torpeur du quotidien par la faute de laquelle il arrive que des journées entières passent sans qu’On s’en aperçoive.
A ce stade je me dois de préciser que, lorsque l’aventurier part en expédition avec d’autres philosophes de l’Aventure, il peut se permettre des tours beaucoup plus originaux que le simple fait de voyager sans payer : comme par exemple jouer les aveugles ou se déguiser en schtroumpf. Mais le couple que je prends pour exemple est mixte, la jeune fille est ouverte d’esprit mais pas philosophe de l’Aventure pour autant.
Comme il s’agit d’un couple donc, il se crée, chez le philosophe de l’Aventure, un équilibre entre les aventures et les personnages/personnalités qu’il a en cours, qui se superposent et qui, dans cette situation, le poussent à ne tenter que des aventures acceptables aux yeux de son amie (sans quoi il risquerait de rompre l’aventure dont sa partenaire est le centre, ladite aventure étant beaucoup plus prenante qu’un simple week-end en Belgique -à l’intérêt duquel elle participe d’ailleurs énormément-).
Mais les opportunités d’aventures restantes sont nombreuses, comme par exemple aider toutes les petites vieilles à descendre leurs bagages du train (voir l’article sur les Actes altruistes).
Arrivé à la gare de Bruxelles, le couple empreinte les escalators en sens inverse pour deux raisons : c’est bien sûr une petite aventure, mais c’est aussi plus rapide, les autres escalators étant encombrés par la foule.
Comme quoi l’option aventureuse n’est pas forcément plus fastidieuse.
Bref, ce petit paragraphe doit montrer qu’une fois dans l’Aventure, le philosophe de l’Aventure doit continuer d’agir, pour entretenir et tonifier son Aventure. Comme les aventures viennent souvent d’une confrontation, à la nature ou à autrui, parler, interagir est une attitude payante… Sauf si, les deux pieds bien ancrés dans l’Aventure qui surabonde de toute part, on peut se permettre de jouer les cow-boys taciturnes.
Et ensuite ?
Dans la gare centrale de Bruxelles, le couple signale une valise abandonnée aux agents de sécurité puis va demander le chemin de son hôtel à des Belges parce que c’est plus aventureux que de s’asseoir dans un coin pour décrypter une carte (ils ont réservé l’hôtel à l’avance, mais c’était contre l’avis du philosophe de l’Aventure).
Ensuite le couple va faire un tour jusqu’à la grand place. En chemin, les aventuriers croisent un excellent musicien de rue qui joue des ballades de musique country.
Sa musique fait un gros effet sur le couple, notamment parce qu’elle est porteuse d’images narrant de grandes aventures des époques passées. Le couple s’arrête pour donner le rythme en tapant des mains avec d’autres passants. Le musicien a une bouille extraordinaire avec sa longue barbe blanche et l’énergie qu’il met dans sa musique, si bien qu’une question finit par éclore : « qui est-il, et quelle est son histoire ? »
Rares sont les personnes qui suscitent immédiatement ce genre de question, auxquelles il peut être difficile de trouver une réponse, sauf à aller interroger l’intéressé, et à condition qu’il consente à se livrer, ce que, bon gré, mal gré, le climat ne permettra peut-être pas.
Alors, parce que ce n’est pas non plus dans les mœurs, le philosophe de l’Aventure hésite, il aimerait bavarder avec le musicien, mais il n’ose pas. Il apprend de sa bouche que le musicien revient tous les jours à la même heure, et se console en se disant qu’il aura peut-être l’occasion de repasser pour parler avec lui plus tard…
Ainsi le philosophe de l’Aventure s’éloigne avec ce sentiment confus qu’il vient de laisser passer une occasion.
Et c’est tout à fait exact : il avait devant lui une aventure qu’il a laissée filer, désormais il est trop tard, la porte de cette aventure s’est refermée, peut-être à tout jamais : « L’occasion a tous ses cheveux au front, quand elle est outre passée on ne la peut plus révoquer ».
Plus tard le couple va manger dans un restau de moules-frites pour touristes d’où il s’avère très facile de partir sans payer… Ils se contentent de se lever : on ne leur demande rien.
Une fois la manœuvre accomplie et « l’aventure du vol » terminée, le philosophe de l’Aventure, qui a initié ce geste, annonce à sa compagne qu’ils viennent de commettre un forfait. Elle a d’abord du mal à le croire, ne s’étant aperçue de rien, puis le couple se pose la question de ce qu’il pourrait faire avec les 20 euros économisés ?
Une première option serait de retourner payer, geste d’honnêteté rare qui prendrait toute sa valeur dans ce contexte. Toutefois, puisqu’ils ne sont pas pressés par le temps, ils préfèrent attendre et vérifier que les mets qu’on leur a servi valent bien l’argent qu’ils s’apprêtent à rendre, d’autant qu’ils ressentent un certain mal au ventre, leur confirmant ce dont leurs papilles les avaient avertis déjà : les moules n’étaient pas fraîches.
A ce moment là, le philosophe de l’aventure et son amie prennent une grave décision, ils décident de ne pas retourner payer. Quel mécanisme psychologique les pousse donc à ce choix ?
- Pour la jeune fille, il y a une part de gêne à retourner au restaurant, qui joue à coup sûr. Il peut y avoir d’autres raisons comme l’appât du gain, etc.
- De son côté, le philosophe de l’Aventure a recourt au pouvoir absolu : en effet, d’après son héritage culturelle et les lois en vigueurs, etc., il vient de commettre un vol, quelque chose qui pèse comme un poids sur sa conscience. Pour se défaire de ce poids, il expulse son esprit au-delà de la croute de son éducation, de sa culture et de ses valeurs, le lave, et l’habille à nouveau >>> Le philosophe de l’Aventure n’a pas commis de vol, non, il vient d’endiguer la prolifération de restaurants de mauvaises qualités qui arnaquent les honnêtes gens avec des produits périmés et causent la disparition des petits commerces tout en nuisant à la diversité du quartier. Par ailleurs, une large partie des bénéfices qui transitent par ces restaurants ne sont, de source sûre, pas déclarés à l’Etat et donc soutirés au bien commun, une attitude négative que le philosophe de l’Aventure vient de sanctionner, à ses risques en plus… Un geste noble et héroïque donc. Pour s’en convaincre encore mieux, le philosophe de l’Aventure décide de mettre les 20 euros de côté et de les investir dans une nouvelle aventure : une interview poussée du musicien de rue qu’il a croisé plus tôt. En lui reversant les 20 euros, il sponsorise la musique de rue et s’offre d’améliorer le climat de son interview : par l’interview, l’aventure, et la musique que la somme ainsi employée va engendrer, le philosophe de l’Aventure se débarasse du poids qu’on (c’est à dire la société) lui a mis sur la conscience.
Les philosophes de l’Aventure n’ont pas nécessairement besoin de tous ces artifices pour embrasser une aventure dont les tenants et aboutissants bousculent les valeurs dont on les a affublés. Mais ils peuvent le faire si besoin est, ou, à défaut, faire ce que qui leur chante sans s’imaginer systématiquement les bons et les mauvais côtés de la chose mais sur le seul principe que tout est bon et mauvais à la fois, et que dans ces conditions, quitte à choisir, autant faire ce qui paraît le meilleur pour soi, à court ou à long terme, puisque ce sera égal à autrui, à court ou à long terme.
Je retourne au couple que j’ai pris pour exemple et qui ne parvient pas à retrouver le musicien de rue. Ils mettent les 20 euros de côté pour un usage ultérieur et au cas où ils recroiseraient le musicien le lendemain. En attendant ils s’adonnent à d’autres aventures, celles qui se présentent, en allant à leur rencontre.
Par exemple, « Il » reçoit une flûte de « Elle » en cadeau. Un ocarina à quatre trous pour être précis : un instrument de musique au maniement abordable pour un non-initié tel que « Il ». « Il » a alors l’opportunité d’expérimenter un peu de l’aventure du musicien de rue qui manque justement à l’appel.
Ainsi il découvre l’impact que la musique a sur le passant, même quand elle est mal jouée : de jeunes touristes anglais chantent quand ils entendent la mélodie de « Yellow Submarine », un bon homme au nez épaté vient le féliciter quand il joue « Chevalier de la Table Ronde » et un autre lui crie après, de sa fenêtre, lorsqu’il écorche « Le lion est mort ce soir ». Si le philosophe de l’Aventure joue « Frère Jacques » dans une rue, il l’entend siffloter dans une autre. Ce sont peut-être là les réactions classiques du chaland vis-à-vis d’un musicien mais comme « Il » n’a jamais fait de musique, il ne le découvre qu’alors, s’enrichissant d’une expérience, fruit de l’aventure, et rentabilisant un des 23.725 jours qui lui restent approximativement à vivre (sur la base d’une mort à l’âge de + ou – 93 ans) avant d’être privé d’accès aux aventures qu’offre l’aventure de la vie.
Conclusion :
Il n’y a pas de petites aventures : elles sont toutes bonnes à saisir.
NdA : en ce qui concerne les 20 euros destinés à l’interview du musicien de rue, que le couple n’a jamais retrouvé, ils ont décidé de reverser cette somme au Nabolo-blog, dans le même esprit, à condition que cet argent finance une autre aventure, ce que je m’emploierai à faire à la première occasion.
C’est très Nietzschéen, comme philosophie, « tout est bon et mauvais à la fois, alors autant faire ce qui nous convient à nous » :::FREEDENT:::