Une nouvelle tirée du recueil « Transports en commun ».
Il était une fois, au royaume de Tendre, un prince dont la légende allait marquer les cœurs pour le reste des siècles. Si l’histoire n’a pas retenu son véritable nom, il est connu de tous sous celui qui fit sa renommée : on l’appelait le Prince Charmant.
Le Prince Charmant naquit dans le village de Grand Cœur, sur les bords du fleuve Inclination. Au jour de son baptême on fit venir, comme c’était alors la coutume, trois fées, ses marraines, pour qu’elles lui accordent des dons.
La première lui donna le charme.
La seconde lui donna l’audace.
La troisième lui donna le cœur.
Nanti de ces trois qualités, le jeune prince grandit dans la tranquillité de Grand Cœur et de sa campagne dont il appréciait l’herbe drue et les verts pâturages, les forêts giboyeuses et les rivages d’Inclination où il s’adonnait à la pêche à l’écrevisse, non sans se faire pincer les doigts.
Le fleuve le fascinait à vrai dire, et davantage encore l’idée que son cours l’emmenait jusqu’à la mer.
Un jour, son père, le roi de Grand Cœur, le convoqua au château. Le prince s’y rendit aussitôt et trouva le souverain fort préoccupé :
– Assieds toi mon fils, j’ai quelque chose à te dire.
Le prince s’assit, tout ouïe.
– Eh bien voilà fils, comment dire… Il y a une princesse quelque part qui t’attend. Et il faut que tu ailles la chercher. Je ne sais pas où elle est, je ne sais rien sur elle mais je peux t’assurer que tu la trouveras belle. Le hic c’est que, à moins d’un énorme coup de bol, elle sera sûrement prisonnière de son château, lequel château sera probablement gardé par un dragon, plus ou moins dangereux mais fais gaffe quand même.
– Bien père. Est-ce là tout ce que je dois savoir ? répondit le prince qui ne semblait pas le moins du monde effrayé par les prédictions du roi.
– Héhé ! Je reconnais bien là ton audace fiston, celle que t’a donnée la fée numéro deux au début de l’histoire ! Ben oui, c’est tout. Pars quand tu te sentiras prêt, et si tout se passe bien tu deviendras un grand roi comme ton père. Tu verras, c’est tranquille… Bon, je te laisse filer, ta mère m’attend et tu sais comme elle est, pas vrai ? Allez, bonne chance !
– Merci père ! s’exclama le prince en se relevant, ému.
– Passe par l’écurie avant de partir ajouta le roi, je t’y ai laissé trois présents.
Le prince salua une dernière fois son père et quitta le château pour se rendre aux écuries.
***
Dans les écuries, le Prince Charmant fut accueilli par l’écuyer du roi, son père.
En l’apercevant, le vieil homme éclata en sanglots. Le Prince Charmant, qui avait du cœur, s’approcha pour lui offrir une épaule secourable :
– Que se passe-t-il ô fidèle d’entre les fidèles, ami de toujours, toi qui m’es presque un deuxième père, pourquoi ces chaudes larmes ?
– Oh Prince ! sanglota l’écuyer, c’est que j’suis si ému d’vous voir partir, comme jadis vot’ père. C’était l’bon temps ! Y n’fait pas grand cas d’moi depuis…
– Tu n’as jamais eu peur lors de ces voyages ? Père m’a pourtant fait de bien terribles récits, propres à effrayer le cœur d’un honnête homme.
– Jamais ! Jamais Prince ! Lui et moi nous étions cul et chemise, on s’en s’rait fait par centaines des dragons si on avait pu, mais l’aventure s’est arrêtée un peu vite. ‘Fin passons, c’est à vot’ tour de partir aujourd’hui, et j’vais vous remettre trois présents selon les recommandations du roi.
A ces mots l’écuyer sécha ses larmes. Il s’enfonça un peu plus avant dans l’écurie et, bousculant une botte de paille, il révéla un coffre doré qu’il entreprit d’ouvrir avec une cérémonielle minutie. Le coffre grinça puis l’écuyer, fier et ému, en extirpa une sorte de rondache miteuse qui avait du porter un jour le nom de bouclier, mais ce devait être un siècle auparavant.
– Voici l’écu du roi ! s’exclama l’écuyer, Je l’ai fabriqué moi-même ! Il a un peu vécu, certes, mais il est encore solide regardez.
L’écuyer frappa deux coups sur la surface du bouclier qui ne tomba pas en lambeaux.
– Voyez ! Le métal a rouillé mais il reste encore une bonne couche de réconfort. C’est à vous, prenez.
Le jeune homme fit un pas en avant pour recevoir le cadeau.
– Attendez, c’est pas fini ! poursuivit l’écuyer sur un petit ton réjoui, Il y a aussi… l’épée du roi !
L’épée que le prince accepta ensuite tenait plus d’une barre de fer tordue, incrustée de fragments de candeur, que d’une véritable lame.
– Merci…, bredouilla-t-il.
L’écuyer regardait le Prince Charmant comme s’il avait vu un ange : mains jointes, les yeux fixes en battant légèrement des cils au-dessus d’un grand sourire qu’il gonflait de soupirs. Le jeune homme lui semblait si beau et si brave avec son cercle de cuir au bras et sa barre de fer en main.
– Et c’est tout ? risqua le prince, craignant que la scène s’éternise.
– Comment ça c’est tout ?
– Ben… Papa… Enfin je veux dire le roi, mon père, m’avait parlé d’un troisième présent.
– Oh ça… Oui, c’est vrai. Attendez-moi là, je vais le chercher.
Et l’écuyer disparut dans le fond des écuries.
A son retour, il était précédé d’un bruit de métal qui paraissait une musique, accompagné d’étincelles en forme d’étoiles qui jaillissaient un peu partout à chaque heurt d’un sabot sur le pavé… Car c’était un cheval qui causait tous ces effets spéciaux. Un cheval magnifique, à la robe blanche et à la crinière de lait, dont le noir des yeux aurait pu héberger la lune. Le Prince Charmant le reconnut aussitôt :
– Mais c’est Bonimpression ! Le cheval de mon père !
– Désormais c’est le vôtre, repartit l’écuyer.
Alors, sans plus attendre, le Prince Charmant se jeta au cou de Bonimpression et partit au grand galop vers l’horizon, à la recherche de celle qui lui était promise.
***
La route que le Prince Charmant avait empruntée tout à fait au hasard le conduisit bientôt jusqu’à une petite bourgade du nom de Sincérité. Le soir venant, il envisageait d’y passer la nuit quand, sur une colline voisine, il aperçut la silhouette sinistre et sombre d’un grand château.
– Tiens, tiens ! se dit-il, Mon vieux Bonimpression, j’ai bien l’impression que notre princesse n’est pas loin !
Le Prince Charmant profita qu’il traversait la bourgade pour se renseigner, chose qui lui fut d’autant plus facile que tout le monde lui fit bon accueil à la vue de son cheval.
Une fois qu’on lui eut confirmé la présence d’une princesse et d’un dragon dans le château qu’il avait aperçu, le Prince Charmant éperonna Bonimpression et galopa jusqu’à la noire enceinte qui le séparait de sa promise.
Accéder au château ne fut pas une mince affaire car la colline était couverte de ronces géantes et noueuses. Heureusement elles ne résistèrent pas aux sabots de Bonimpression qui bondit avec majesté jusqu’à la porte du château. Le prince y attacha son cheval puis équipa sa rondache et sortit sa barre de fer de son fourreau. Enfin, mu par l’audace, il entra.
Si l’extérieur du château pouvait paraître négligé, le fort intérieur paraissait un jardin, le plus exquis qui fut au monde. Chaque buisson était taillé au ciseau et des fontaines s’écoulaient un peu partout. Le lierre montait gracieusement le long des pierres du donjon jusqu’à son sommet où, d’une fenêtre, s’échappait une chaude lumière et une chanson, qui descendait le long du lierre jusque dans la cour. La princesse était là-haut, peignant ses cheveux, et se languissant de voir arriver son prince.
Le Prince Charmant se dirigea vers les escaliers d’un pas sûr. C’est alors que, à une dizaine de mètres, dans un recoin de la cour, il aperçut un dragon.
Par bonheur, le dragon dormait d’un sommeil millénaire. Ses ronflements, que le prince avait d’abord pris pour le souffle du vent, donnaient au jardin calme et sérénité. Le Prince Charmant n’aurait qu’à gravir les escaliers et embrasser la princesse pour ceindre la couronne. Il se précipita… vers le dragon :
– Réveille-toi espèce d’enfoiré !! T’es gros, tu pues et t’es moche ! Allez, debout ! Je vais te refaire le portrait !
Le prince devint livide : dans sa main, l’épée qu’il avait prise pour une simple barre de fer tremblait et vitupérait ! C’est elle qui l’avait entraîné jusqu’au dragon qu’elle martelait de coups à présent, sans que le prince put rien faire pour retenir son bras ! Les fragments de candeurs qui incrustaient sa lame brillaient dans le noir, inexplicablement. Ils n’étaient plus les seuls d’ailleurs : deux points rouges s’étaient allumés devant le prince qui continuait malgré lui de frapper ce qu’il y avait au-dessus… A savoir le crâne d’un dragon, lequel, rapidement lassé du jeu, ouvrit la gueule et cracha le feu.
Les habits en flammes, le Prince Charmant zigzagua dans la cour en hurlant jusqu’à tomber le nez dans une fontaine.
***
Plusieurs jours passèrent. Le Prince Charmant n’avait toujours pas quitté la cour du château : d’abord parce qu’il était brûlé au énième degré, ensuite parce que c’était un garçon plutôt têtu.
Caché entre une fontaine et une statue, il attendait que le dragon se rendormît, ce qui ne semblait pas sur le point d’arriver. Au contraire, la bête, quoique repliée sur elle-même dans sa position initiale, épiait tous ses mouvements de son regard de braise.
Le prince maudissait son épée. Si seulement elle était restée coite ! De rancune, il voulut en briser la lame qu’il jeta contre le sol : cela eut pour effet d’en détacher les fragments de candeur qui y étaient incrustés. Voyant cela, le prince renouvela l’opération, puis entreprit de se forger une arme digne de ce nom. Il ramassa tous les métaux qui trainaient dans la cour, des bris de jalousie, d’envie, un morceau de désir et des pièces détachées d’indifférence qu’il projeta de fondre avec son bout de fer. Manquait une fournaise pour parachever son œuvre, la seule aux alentours brulait dans la gorge du dragon… Justement, le Prince Charmant était audacieux : il s’élança de nouveau contre le monstre qui l’aspergea de ses flammes. Le prince y exposa son épée arrangée des nouveaux métaux qu’il avait ramassés et que la chaleur fondit en une lame scintillante et tranchante comme un rasoir. Puis il répéta l’opération, avec son bouclier cette fois, consolidé au préalable par des plaques de confiance-en-soi et des pépites d’espoir.
Lorsqu’il se présenta au dragon pour une nouvelle confrontation, et bien qu’affaibli par ses blessures, le Prince Charmant était enfin équipé pour combattre : son écu repoussait les flammes et son arme lançait des éclairs.
Ainsi paré, il s’avança vers l’animal mythique qui le fixait toujours de ses yeux rouges. Le jeune homme lui rendit son regard, plein d’audace, de cœur, et du charme que ces deux qualités combinées faisaient naître de lui.
Le dragon rugit en crachant sur le preux un jet de lave que son bouclier contint. Alors le prince brandit son épée et trancha le cou que la bête avait imprudemment découvert. L’énorme tête s’affala sur le côté. Dans un gémissement d’outre-tombe, le dragon rendit son dernier souffle.
Le prince n’était pas indemne, mais il était vainqueur. Il oublierait bientôt toute sa peine dans les bras de celle qu’il allait libérer.
Son regard se posa sur les escaliers, l’ultime obstacle qu’il lui restait à franchir, quand il remarqua, dans l’ombre que les flammes pressaient contre le mur, deux formes étranges qui se déployaient vers les cieux. Le Prince Charmant se retourna pour découvrir qu’en lieu et place de la tête qu’il avait coupée, deux nouvelles gueules se dressaient à présent, plus furieuses et menaçantes encore.
Prenant ses jambes à son cou, le Prince s’enfuit de la cour du château et bondit sur Bonimpression qui l’emporta aussi loin que possible d’une fatale déconvenue. Les dragons sont immortels : ça lui servirait de leçon.
***
Le Prince Charmant trouva refuge au village d’Oubli, sur les bords du lac d’Indifférence.
Là-bas il recouvrerait ses forces petit à petit, mais se souviendrait encore longtemps de son premier déboire.
Le prince se fit facilement des amis dans ce petit village : il inspirait à tous une sympathie naturelle. Il faut dire que la vie à Oubli n’était pas très enjouée… En le voyant passer dans les rues, à cheval sur Bonimpression, son bouclier au côté, les gens trouvaient en lui un modèle, une chaleur qui leur inspirait du réconfort.
Lorsque, un beau jour, le prince annonça son départ, désormais qu’il était tout-à-fait rétabli, beaucoup de gens s’en attristèrent mais, plus encore, décidèrent de l’imiter. C’est alors, sans doute, que naquit la renommée du Prince Charmant, qui ne devait cesser de croître.
Le prince galopa jusqu’à Grand Cœur, qu’il contourna finalement. Il n’avait rien à faire chez ses parents. Sa mission, il la connaissait déjà : trouver sa princesse et la délivrer. De toute évidence, le premier château sur lequel il était tombé n’était pas fait pour lui. La pommade qu’il s’appliquait tous les jours sur les fesses le lui rappellerait longtemps. Aussi le prince poursuivit-il jusqu’à l’Inclination, le fleuve près duquel il avait grandi, et qu’il traversa au prétexte on ne peut plus légitime qu’il voulait voir ce qu’il y avait de l’autre côté.
Il arriva bientôt à un carrefour qui indiquait « Assiduité » vers le sud et « Empressement » vers le nord. Mais le prince portait son regard au-delà, vers la plaine dont la ligne d’horizon était brisée par la silhouette protubérante d’un donjon.
Bonimpression fit le reste, il emporta le héros vers une nouvelle épreuve.
Ce château-ci était très différent du premier. Il trônait au milieu d’un désert aride, la porte grand ouverte et cernée de murailles bien moins impressionnantes que celles que le prince avait bravées au château de la colline.
Le héros attacha Bonimpression à l’entrée et pénétra dans l’enceinte sous les encouragements de la princesse des lieux qui s’était imprudemment penchée au balcon pour le saluer et l’inciter à ne pas faire montre d’une prudence superflue.
– Il n’y a pas de dragon ? s’enquit le prince, les mains en porte-voix pour que la princesse pût l’entendre.
– Si, répondit-elle de la même manière, mais il n’est pas méchant !
Effectivement, en traversant la cour, le prince aperçut un petit dragon rose qui remua la queue à son approche. Il était attaché par une chaîne à un panneau où l’on pouvait lire :
– Pas méchant –
« Bon » pensa le prince. Et il emprunta les escaliers.
Arrivé au dernier étage il entreprit de frapper à la porte mais la princesse l’avait devancé : il fut accueilli à bras ouverts.
La princesse était un joli brin de fille, quoique très agitée. Elle avait notamment l’étrange capacité de prononcer les phrases « Soyez le bienvenu ! », « Entrez je vous en prie ! » et « Oh comme je suis contente de vous voir ! » simultanément.
Le prince était légèrement décontenancé, par un détail surtout : son père lui avait assuré qu’il trouverait la princesse belle. Or le jeune homme avait un doute sur la question. Il se laissa dévêtir cependant, les bottes d’abord, le bouclier ensuite et puis l’épée. Lorsqu’elle souleva cette dernière, la princesse laissa maladroitement glisser le fourreau et la lame fut mise à nue. A sa simple vue la jeune femme émit un cri déchirant. Sans que le prince eût le temps d’en comprendre la cause, par réflexe, il reprit son arme en main dont les reflets métalliques équarrissaient la pièce : les cris de la princesse redoublèrent d’intensité !
Un grondement draconique se fît entendre depuis la cour. Le prince, en alerte, et cherchant toujours du regard ce mal invisible qui bouleversait son hôte, s’approcha de la fenêtre à reculons, là d’où il pourrait rassurer le petit dragon rose qui, supposait-il, venait de manifester son inquiétude pour sa maîtresse. Mais le Prince Charmant ne vit pas de petit dragon rose par la fenêtre. Ce qu’il vit s’apparentait plutôt à un énorme abdomen rouge, au bout duquel deux gigantesques pattes piétinaient un panneau portant la mention :
– MECHANT –
Le prince n’eut pas la curiosité de regarder ce qu’il y avait à l’autre bout. Il bondit dans les escaliers en évitant un premier jet de flammes. Il descendit les marches quatre à quatre, tenta une glissade sur la rampe et réussit un saut suspendu au lustre. Enfin, il traversa la cour, efficacement protégé des flammes par son bouclier, et rompit la herse d’un coup de son épée magique. Bonimpression l’attendait. Cavalier et monture disparurent dans un nuage de poussière tandis que les rugissements conjugués du dragon et de la princesse fissuraient les murailles du château.
***
Le Prince Charmant poursuivit vers le nord. Il ne le savait pas encore mais sa réputation, grandissante, le précédait.
Lorsqu’il arriva à Sensibilité, une ville de taille importante, tout en dorures et sculptures, la moitié de la population chantait ses louanges ou comment il avait déjà échappé à deux dragons et redonné l’espoir au village d’Oubli. Le royaume entier ne tarderait pas à imiter ces bonnes gens qui, pour l’heure, donnaient à boire au cheval et lançaient des fleurs au cavalier.
Ils les accompagnèrent ainsi jusqu’au château de la ville, une haute demeure pourvue de nombreuses tours blanches et minutieusement ciselées.
Le Prince Charmant attacha Bonimpression à la porte. Pas de surprise : il y avait un dragon dans la cour. Un grand dragon blanc aux longues moustaches soigneusement peignées.
Le dragon observa le prince attentivement, le renifla même, mais le laissa passer. Le prince se dirigea donc vers le donjon et son escalier, mais il était barré d’une porte, fermée à clef.
Le prince se retourna, le dragon lui adressa un mouvement du menton. Alors le prince se décida à frapper.
– Ouiiiiiiiii ? Qui est lààààààà ? lança une voix loin au-dessus de sa tête, depuis le balcon d’une des tourelles.
Le prince se masqua les yeux pour tenter d’apercevoir un visage.
– C’est moi ! répondit-il, C’est le Prince Charmant !
Il y eut une minute de silence qui dura jusqu’à ce que le prince perçût des bruits de pas dans les escaliers, de l’autre côté de la porte. Une cale en bois glissa pour découvrir une ouverture. Au travers, la princesse dévisagea son visiteur.
– J’attends le Prince Charmant dit la princesse.
– Eh bien… Me voici ! répondit le prince avec un sourire un peu gêné tout en lançant des coups d’œil furtifs vers le dragon qui remuait dans son dos.
– Vous êtes vraiment MON prince ? LE Prince Charmant ? Celui qui saura m’aimer toute ma vie, me chérir et me protéger, me faire rire et me faire rêver jusqu’à ce que la mort nous sépare ?
– Oui.
– S’occuper des enfants, faire la cuisine et le ménage (parce qu’à notre époque princes et princesses sont égaux), s’abstenir de sortir au bar avec ses amis quand je suis malade et abandonner une partie de jeu vidéo sans sauvegarder ?
– Oui, oui, assurément !
– Prouvez-le.
– Euh… Comment ?
La princesse repoussa la cale en bois et un rugissement se fit entendre. Le Prince Charmant réagit juste à temps pour détourner, à l’aide de son bouclier, l’énorme boule de feu qui fonçait droit sur lui. Il effectua ensuite une surprenante roulade avant et, levant son épée, il en frappa le plat sur le crâne du dragon qu’il assomma dans l’instant. Le dragon s’affala comme une masse sous les applaudissements du public massé à l’entrée de la cour du château. Le Prince Charmant rengaina son épée et retourna vers la porte.
– Voilà, ça y est, dit-il en cognant au butoir, j’ai vaincu le dragon.
– Partez lui répondit une petite voix fluette, à moitié audible au travers des épaisses planches de chêne, vous n’êtes pas le Prince Charmant.
– Mais… Puisque je vous dis que c’est bien moi !
– Non, le Prince Charmant est beaucoup plus grand et plus beau que vous. En plus vous vous êtes sali en roulant par terre comme un sauvage et vous avez sali ma cour avec vos bottes crottées… Le Prince Charmant n’aurait jamais fait une chose pareille ! Partez ! Partez !
En maugréant, le Prince Charmant se dirigea vers la sortie.
– Laissez-moi passer, grinça-t-il à l’intention des villageois tandis qu’il enfourchait Bonimpression.
Il disparut dans le lointain tout de suite après.
Quoi qu’il en fût de cette mésaventure, elle ne ternit pas la réputation du prince. Au contraire même, et en s’éloignant de Sensibilité au grand galop il eut l’impression que les « Partez ! Partez ! » de la princesse s’étaient mus en « Restez ! Restez ! » au fil du vent.
***
Leur cavalcade conduisit bientôt le Prince Charmant et Bonimpression jusqu’à Tendre-sur-Inclination, qui surplombait le fleuve du même nom. Pour le prince ce fut une surprise de découvrir qu’il n’y avait pas là un château mais des dizaines, tous équipés d’un dragon dont on voyait luire les écailles à une lieue à la ronde.
En s’arrêtant à l’orée de la ville, il gonfla les joues de dépit devant cette forêt de donjons. Puis il tapota la croupe de Bonimpression pour donner du courage à sa monture comme à lui-même et dans un grand « Yaah ! » fonça vers son destin.
Le Prince Charmant libéra Bonimpression de ses obligations au premier château qu’il rencontra. Il traversa la cour à pas feutrés pour ne pas réveiller le dragon qui s’y trouvait et chercha le grand escalier. Il n’y en avait pas.
« Bon » soupira-t-il, les mains sur les hanches en envisageant l’escalade. En haut de la tour, une jolie princesse agitait son mouchoir en guise d’encouragements. Le prince se mit en train : il se hissa à la force des bras.
Arrivé au balcon, le prince voulut clore son impressionnante ascension par un spectaculaire saut périlleux. Malheureusement, il atterrit sur une petite table que la princesse avait installée pour le thé… Le bruit de vaisselle cassée réveilla immédiatement le dragon qui prit le prince en chasse, lequel s’enfuit vers un deuxième château.
Le deuxième château disposait d’escaliers. Le prince les emprunta sans éveiller le dragon (il commençait à savoir la manière). Arrivé au sommet, il ouvrit la porte d’une séduisante petite princesse qui le serra amoureusement dans ses bras. Puis elle l’invita à prendre le thé.
Au bruit que la tasse fit en heurtant la soucoupe, le dragon se réveilla et le prince dut s’enfuir à nouveau.
Au troisième château, le Prince Charmant enjamba le dragon assoupi, monta les escaliers, ouvrit la porte de la chambre princière sans frapper et s’apprêtait à dire « Pas de thé pour moi, merci. » lorsqu’il s’aperçut que la chambre en question avait tout d’une gigantesque armoire à vaisselle ! Entre deux colonnes d’assiettes et de plats, une plantureuse princesse lui ouvrit grands les bras pour l’accueillir, et, ce faisant, dans un fracas tonitruant, brisa les monceaux de porcelaine qui étaient alentour… Le dragon apparut aussitôt à la fenêtre, crachant le feu. Le Prince Charmant s’enfuit par les escaliers.
Au quatrième château, à peine le jeune héros mettait-il le pied dans la cour que, du ciel, il vit fondre sur lui un objet non identifié, en fait une assiette, constata-t-il lorsqu’il l’eut rattrapée au vol. Une princesse la lui avait lancée du balcon, vingt mètres plus haut. Avec toute une pile en main, elle s’apprêtait à recommencer.
Le prince considéra l’énorme dragon qui sommeillait dans la cour… Il s’enfuit au moment où les soucoupes se mirent à pleuvoir.
Retrouvant Bonimpression là où il l’avait laissé, le Prince Charmant quitta Tendre-sur-Inclination avec le sentiment d’avoir frôlé son but, mais finalement sans regrets.
***
En longeant l’Inclination, ce grand fleuve qui traverse le royaume de Tendre et auprès duquel il avait si souvent joué petit, le Prince Charmant se rappela qu’il avait toujours voulu voir la mer. Il se fia donc, pour la trouver, au cours de la rivière et, toujours sur son fidèle Bonimpression, chevaucha vers le nord, jusqu’à la « Mer des Passions », aussi appelée « Mer Dangereuse » à cause du roulement constant de ses flots.
Quel spectacle ! Le Prince Charmant sentit son cœur bondir devant le magnifique tableau. Peut-être la mer était-elle dangereuse, mais le prince la voyait comme un inépuisable réservoir de vie, sans cesse renouvelée par le flux et le reflux où sautaient les poissons et plongeaient les goélands.
Tout à sa contemplation, le Prince Charmant remarqua, au-delà de cet océan, la silhouette d’une terre inconnue d’où s’avançait, jusque dans les eaux, une pointe ornée de ce qui semblait être un somptueux château.
Son intuition lui dit que c’était là-bas qu’il devait aller.
Longeant la rive, le Prince Charmant rencontra un batelier qui le reconnut et accepta de lui faire traverser la mer, ainsi qu’à son cheval, jusqu’à l’île qu’on appelait « Amour ».
Le frêle esquif emporta le Prince Charmant dans le chahut des vagues qui, à s’y intéresser de plus près, grouillaient de serpents, de poissons aux dents acérées et de monstres énormes… Mais le calme héros, courbé sur sa rapière, regardait le château et ne daignait rien voir.
Lorsqu’il débarqua, à proximité du château, le Prince Charmant s’aperçut que le chemin qui y conduisait était en partie recouvert par les flots : il le serait entièrement à marée montante.
Quoi qu’il en fût, le prince congédia le batelier. Il s’attacha le bouclier au dos et marcha droit devant soi, les pieds dans l’eau, sachant qu’il devrait terminer sa route à la nage, raison pour laquelle il avait laissé Bonimpression derrière lui.
Quand il arriva dans la cour du château, ses fontaines et son jardin ouvragés lui inspirèrent une certaine familiarité. Il faisait nuit à présent.
En haut du donjon, le Prince Charmant aperçut une fenêtre d’où s’échappaient une lumière et une chanson, qui descendait le long du lierre jusque dans la cour. L’accès aux escaliers était barré par la masse énorme d’un dragon endormi, un dragon à deux têtes… Le Prince Charmant le reconnut aussitôt : ce dragon qu’il avait jadis fait l’erreur d’attaquer ! Même son bouclier ne le protègerait pas des assauts simultanés de ces deux têtes. Réveiller ce dragon là c’était mourir à coup sûr.
Le Prince Charmant entreprit donc d’escalader le donjon : une broutille pour lui. Lorsqu’il se glissa par la fenêtre, jusque dans la chambre de la princesse, il la surprit en train de peigner ses cheveux et la reconnut pour celle qu’il avait aperçut jadis, sans jamais parvenir à la rejoindre.
– J’ai déménagé ! expliqua-t-elle devant son regard ahuri, juste avant de lui donner le plus foudroyant baiser qu’il eût reçu de toute sa vie.
Les amants passèrent la nuit à s’embrasser, mais au petit matin, juste avant l’aube, la princesse arrêta le prince :
– Vite ! Le jour va se lever et le dragon avec, tu dois partir dans l’instant !
Encore tout énamouré, le Prince Charmant voulut emprunter les escaliers jusqu’à ce que la princesse lui rappelle que le dragon en gardait l’entrée. Elle l’invita à sortir plutôt par la fenêtre, une périlleuse descente que le prince, épuisé, accomplit pourtant de bonne grâce tant il était heureux.
***
Cette scène se répéta pendant des semaines : le Prince Charmant marchait jusqu’à la mer qu’il traversait à la nage, grimpait au balcon et embrassait la princesse avant de repartir au matin. C’était dur, mais chaque nuit valait son pesant de bonheur.
Pendant ce temps-là, au royaume de Tendre, de l’autre côté de la Mer des Passions, le Prince Charmant était entré dans la légende et toutes les damoiselles, plus ou moins en détresse, ne juraient désormais que par lui.
Mais le Prince Charmant ne viendrait pas pour elles car, à chaque nouveau crépuscule, il irait conquérir celle qu’il avait reconnue pour sa promise.
Et ainsi en fut-il des nuits et des nuits durant.
Un soir cependant, alors que le Prince Charmant achevait son ascension en se lamentant sur les courbatures que lui causait cette péripétie sans cesse renouvelée, il trouva sa princesse en pleurs. Le prince s’approcha d’elle pour la serrer tendrement dans ses bras et l’encourager à se confier à lui. La princesse ravala ses larmes :
– C’est la mer mon amour, la mer se retire ! Bientôt la marée n’atteindra plus le château…
Effectivement, en y réfléchissant bien, le prince réalisa qu’il était arrivé au donjon sans avoir à mouiller ses bottes, ce qui ne s’était jamais produit auparavant.
– Allons, allons ! la consola-t-il, Il n’y a pas de quoi faire un gros chagrin… Hmm ? Gouzi, gouzi, fais-moi ton plus beau sourire princesse !
La princesse lui lança un regard furieux, comme si elle avait affaire au dernier des imbéciles. Puis elle le tira par le bras et l’entraîna jusqu’à la fenêtre :
– Mais regarde idiot ! Voilà ce que la mer charrie en se retirant, et qu’elle laisse sur le chemin que tu empruntes désormais à pied sec, tu sais ce que c’est ?
A la lumière de la lune, dans la direction que lui indiquait la princesse, le prince aperçut une assiette. Il poussa un long soupir tandis que la princesse s’effondrait sur son lit en pleurant.
Le Prince Charmant revint la nuit suivante, et la nuit d’après encore. Mais chaque fois la mer se faisait plus lointaine, et de nombreux couverts parsemaient désormais son chemin.
– Les dragons détestent les bruits de vaisselle cassée, lui rappela enfin la princesse, Si tu restes, tu mourras, alors va-t-en.
C’est avec amertume que le prince enfourcha Bonimpression ce matin-là, en constatant que la route qui menait jusqu’au château de sa bien aimée était couverte de porcelaine. Il lui fit ses adieux d’un geste de la main puis il partit au galop, et galopa, galopa. Il galoperait jusqu’à ce que son cheval n’en pût plus, traversant l’île Amour d’une rive à l’autre de la Mer des Passions, prenant château sur château et trompant la vigilance des dragons de toute espèce, parfois ignoré des princesses, parfois supplié par elles et toujours répandant sa légende et les espoirs qui l’accompagnent, chaque fois plus nombreux et plus impossibles à assouvir, sans jamais devenir roi.
Exceptionnellement, néanmoins, il ceindra une couronne, et celle de qui il la tiendra pourra dire que, pour un temps, elle a connu le Prince Charmant.
enfin une explication sur les princes charmants… (mais qui deviendra « roi charmant » en succédant à son père!!!!!) pfffffff…. je ne crois pas au prince charmant!!!!!!…. mais j’attends la
suite……. bonne journée @+
Ca commence bien. Normal me direz-vous pour un conte.
J’attends impatiemment la suite.
J’aime bien le ton. Ca sent l’allégorie à plein nez, mais tu vas certainement nous faire une fin inattendue encore une fois :p
Je suis pas super fan du verbiage employé par le Roi. Qu’il y ait un contraste entre le ton du récit et celui du Roi, ça peut etre marrant, mais là en l’occurence, je trouve que ça passe mal. Ca
fait « trop » familier. Comme si tu avais trop lourdement insisté sur le fait que le Roi ne s’encombre pas d’un bon parlé. On aurait remarqué sans l’appuyer autant. (manque de subtilité quoi ^^)
Ca reste que mon avis :p