Comme vous le savez peut-être, je suis au Sri Lanka. Hier soir en me promenant au bord du lac pour admirer le soleil couchant, les baigneurs, et les éléphants, je suis tombé sur un touriste français en short et chemise blanche (quelqu’un qui ne se salit pas) ; bagues aux doigts et montre coûteuse au poignet (qui donne des signes extérieurs de grande richesse) ; collier avec dent de requin autour du cou (qui recherche le frisson de l’aventure) et gros appareil photo (qui est de passage pour peu de temps).
Le bonhomme était sympathique, débarquant fraîchement de Colombo d’où il avait foncé vers l’intérieur des terres pour se trouver un éléphant à monter et à photographier, et vivre son aventure à lui de « monter sur un éléphant » en insistant pour être le seul dessus et pour monter à cru… Ce qui est une très bonne chose : les « sièges » à éléphant leur font beaucoup de mal, ai-je appris ici, mais ce n’est pas l’objet de cet article : je m’étendrai plus longuement là dessus quand je vous raconterai mon périple.
Ce dont j’aimerais vous parler maintenant c’est du rapport au don et au pourboire dans les pays à même profile économique que le Sri Lanka. Parce que le comportement de mon bonhomme m’a atterré : se présentant comme quelqu’un de sensible et généreux, il m’a raconté ne jamais hésiter à lâcher de gros billets à la première occasion… Même s’il a tempéré son discours par la suite en précisant qu’il opposait toujours une première résistance quand on lui demandait de l’argent, je ne suis même pas certain que sa « clientèle » s’en soit même aperçue.
Mais pourquoi est-ce que je considère que donner a un impact négatif ? La mécanique est la suivante (je fais volontairement simple, voire simpliste).
Mécanique du « don de rue »
Partons sur la base des 400 roupies que mon bonhomme raconte avoir lâché à un sri lankais qui les lui demandait de manière si gentille.
1 Euro vaut entre 170 et 180 roupies. Donc 400 roupies = 400/175 = 2 Euros 30.
2€30 ça ne paraît pas grand-chose. Mais observons plutôt le cours de la banane, dans une boutique positionnée dans une rue principale de ville à passage touristique (c’est-à-dire dans un endroit où le prix de la banane est élevée).
Une banane vaut 5 Rps, quand elle est donc vendue « plutôt » chère. Mais le type qui vend la banane, la vend à profit bien sûr… Quel taux de profit ? Je ne le connais pas, au hasard, pour l’exemple, mettons qu’il fait 50%, le cueilleur de banane gagnant la même somme : 2,50 Rps par banane.
Admettons qu’il y ait, je sais pas moi, une cinquantaine de bananes par branche de bananier (ce sont des petites bananes) et que le cueilleur puisse en porter deux ou trois à la fois.
Pour un effort qui va lui demander de :
1- Trouver un bananier
2- Cueillir les branches
3- Rapporter les branches
4- Et puis en plus peut-être payer un intermédiaire pour les livrer etc. ? Je ne sais pas comment ça se passe alors je ne prends pas trop ce critère dans l’addition…
Bref, pour un tel effort, il peut espérer gagner :
(50 x 2,5) x 3 = 375 Rps
Ou un peu plus ou un peu moins, l’idée étant qu’il gagnera à peu près la même chose que le mendiant, mais en beaucoup plus de temps et avec beaucoup plus d’efforts.
Bien sûr, à ce compte là, il est plus intéressant d’exercer la profession de mendiant que celle de cueilleur de bananes… Le cueilleur de banane quitte donc la campagne pour s’installer près d’une voie à passage touristique.
Un « paysan » de moins, ça fait moins de production de bananes, et un « citadin » de plus, ça fait un demandeur de banane en plus : donc le prix de la banane augmente. Il augmente d’autant plus que ce nouveau mendiant-citadin a désormais les moyens de s’offrir des bananes plus chères… Et je vous parle ici d’un « mendiant » lambda sans évoquer les énooormes bénéfices des pseudos guides dont on peut dire qu’ils travaillent véritablement dans l’industrie du tourisme.
Alors qu’est-ce qu’il se passe ensuite ? Ben on a toujours plus de mendiants et toujours moins de cueilleurs de banane, avec une augmentation des prix qui se répercute peu, voire pas, sur le salaire des cueilleurs de banane (rappelons qu’il y a un vendeur de banane aussi au milieu), et des « cueilleurs-de-fruits-bizarres-que-les-touristent-n’achètent-pas » qui, n’étant pas dans la boucle, se font NI-QUER du début à la fin.
Les prix montent, d’autant plus lorsqu’il ne s’agit plus de matières premières mais de produits de luxe, etc. Les gens des campagnes voulant profiter aussi de cette nouvelle économie ils exodent ruralement. A la fin de l’histoire, les voies touristiques surabondent de mendiants et de touristophages… Ca fait beaucoup pour les touristes… Finissent-ils par donner moins ? Pas de problème : on envoie les enfants. Ils sont plus touchants, ça rapporte plus. Et si les enfants handicapés rapportent encore plus, on envoie ceux-là. Et si on manque d’enfants handicapés, ça peut s’arranger.
Ma vision est peut-être un peu simpliste, je ne suis pas bien fort en économie. Si la vôtre est plus précise, merci de la partager ici. Sinon je vous invite simplement à suivre ce conseil : si vous voulez être généreux, soyez près de vos sous… ou faites des dons en passant par des associations locales qui sauront utiliser votre aide financière de manière globale ensuite.
Quelqu’un aurait-il un avis plus sage et mieux abouti que le mien sur la question, je le remercie de bien vouloir nous l’exposer ici, pour le bénéfice de tous ! Merci ! =)
Tu as parfaitement raison. Souvent cela contribue à alimenter le trafic d’êtres humains. C’est prouvé (UNICEF ou autre ONG), dans de nombreux pays du monde, les enfants sont kidnappés et forcés à mendier pour des groupes mafieux organisés.
Ces enfants n’ont pas le droit de garder ce qu’ils gagnent ou d’aller à l’école, et ils sont souvent affamés pour être émaciés et pleurer afin de susciter davantage d’empathie –et de dons– auprès des touristes.
Et même si y’a pas de trafic, en donnant de l’argent, des stylos ou d’autres babioles, les touristes peuvent affecter la dynamique sociale d’une famille et saper l’autorité des parents qui ne peuvent offrir ce genre de cadeaux à leurs enfants. Puis les dons en nature font aussi de l’ombre aux entreprises locales; après tout, la femme qui vend des stylos dans la boutique du coin a probablement des enfants à nourrir elle aussi…
Mais il y a de meilleurs moyens de donner. Des ONG avec pignon sur rue peuvent s’assurer que les dons charitables vont vers des projets efficaces et durables, et savent comment mettre en œuvre des changements positifs en faisant le moins de dégâts possible….