En remontant la Ruta 40…
Aujourd’hui je vous écris directement du bus qui m’emporte de El Calafate à El Chalten, toujours en Patagonie, ce qui fait que je vais sûrement et bientôt avoir envie de vomir. C’est pas grave, ça donnera un sens au fait que je sois assis près des toilettes. Et puis je suis content de faire un peu de bus : on voit rien en avion. Tandis que là je vois plein de trucs : à ma gauche un grand espace plaineux de terre noire et licheneuse ; et à ma droite : les toilettes. Les plaines de gauche me rappellent celles de Tanzanie que je décrivais ICI, celles qui me rappelaient elles-mêmes les plaines scintillantes des « Chroniques de la Compagnie Noire » (= un bon roman)(qui n’est pas de moi). J’y aperçois une autruche et un autre quadrupède, de loin… au hasard : un lama… Mais oui butin, c’était sûrement un lama !! Et au moment même où j’écris ces mots, le bus passant la rivière du coin, j’aperçois un troupeau de lamas ! Butin mais ils courent ! Je savais pas que les lamas couraient ! Ceux que j’ai vus au zoo ne faisaient que mâcher. Ils courent chevalement vite, et en troupeau qui plus est ! Balèze ! Ca explique sans doute pourquoi la laine de lama n’est pas donnée.
Je continue à écrire mais du coup je rate la moitié de ce qui se passe dehors. Or le voyage en bus a les mêmes vertus qu’un safari (terme qui signifie d’ailleurs « voyage en bus » en swahili – ou à peu presque) : on voit plein de trucs ! Là par exemple il se met à faire grand soleil, et le noir de la terre tourne au kaki. Le ciel est bleu, mais de gros nuages paissent ça et là en étendant leurs larges ombres tranquilles sur la plaine et ses grosses collines noueuses qui s’écoulent jusque sous nos roues, comme si, un océan préhistorique s’étant retiré trop vite, il avait abandonné derrière lui des poulpes géants et flasques qu’aurait durcis le soleil (Ah muses ! Ne me laisserez-vous jamais en paix ?!).
Ce n’est pas la seule étrangeté : il y a aussi ces gros glaçons (des icebergs lacustres ?) flottant dans les points d’eaux que nous croisons. Tout ça me paraît plutôt sauvage et me permet de voyager dans ma tête. Y a qu’un truc qui m’emmerde : c’est que les lamas soient parqués dans des espèces de …euh… parcs, puisqu’ils gambadent de l’autre côté d’un grillage. Ça m’emmerde jusqu’à ce qu’on m’informe que ce ne sont pas les plaines qui sont clôturées mais la route sur laquelle nous roulons ! Ce ne sont donc pas les lamas qui sont en cage, c’est moi !! Merde, ça la fout mal… mais ça explique aussi pourquoi la laine de lama est quasiment introuvable : ces lamas sont des lamas vraiment sauvages. (NB : deux jours plus tard j’ai découvert que mes lamas étaient en fait des « Guacanos » – animal inconnu au bataillon : ça explique pourquoi la plupart des trucs faits en laine de lamas ne sont généralement pas en laine de lamas).
El Chalten – ATTENTION chiens sympas !
El Chalten : à l’entrée du village on fait descendre tous les touristes du bus (aventuriers y compris) pour nous donner un cours de savoir-vivre-en-pleine-nature dans le centre écologique (alias la maison des garde-chasses) du coin. El Chalten est la capitale du trekking en Patagonie (voire « dans le monde », d’après l’office du tourisme argentin). Il y a des règles à respecter pour les campeurs : l’interdiction des cigarettes par exemple, le dernier fumeur à s’être autorisé un petit plaisir personnel ayant pulvérisé 4.000 hectares de forêt :
– Mai-euh, c’est ma vie, je fais ce que je veux de ma santé !
…protesta-t-il ? Depuis la prévention a été renforcée, et les bons conseils multipliés : comme celui de marcher en file indienne pour ne pas élargir la piste si on marche en groupe et de faire ses besoins naturels à 50 mètres minimum des cours d’eau pour épargner une flore fragile et la nature, qui nous permet de boire son eau, sans filtre ni rien, truc de ouf. Il faut ramasser ses déchets aussi – truc de ouf bis. Autre règle un peu originale : se méfier des chiens du village, particulièrement sympas et affectueux, qui sont toujours partant pour une balade ! Le problème étant qu’ils s’attaquent aux animaux sauvages, notamment certains types de daims, déjà en voie d’extinction : tous les arrivant sont invités à les chasser s’ils en voient qui les suivent en montagne.
Entre tout ça et l’interdiction d’apporter des fruits à l’aéroport je n’avais jamais vu jamais tant de précautions pour protéger un écosystème, bravo l’Argentine ! En Inde s’ils te soufflent de pas faire ceci ou cela pour pas déranger les tigres c’est juste un prétexte pour te faire croire qu’ils n’ont pas déjà été transformés en poudre pour faire dresser des zizis chinois (vu qu’en fait y a plus de tigres en Inde : je profite que les Etats-Unis aient officialisé la disparition du puma 90 ans après avoir aperçu le dernier spécimen pour vous prévenir de suite).
El Chalten c’est… hmm… petit : un quadrillage de maisons en carton-pâte posé sur un plateau entre les montagnes. L’attraction du coin, c’est le trekking. Il y a tout un tas de parcours qui partent dans tous les sens et je choisis le mien de façon à pouvoir apercevoir le Fitz Roy, le sommet le plus connu de Patagonie, et qui est beau en plus : je l’ai vu en photo et il m’a beaucoup plu… à défaut de le voir en vrai d’ailleurs car je me suis gouré de chemin, prenant la direction de la Laguna del Torre au lieu de l’autre bonne direction dont j’ai oublié le nom. Du coup je vais voir un lac plutôt qu’un mont (et pourquoi pas ? – je suis tellement rebelle).
Le « trekking » ou le « hiking », maintenant que j’en ai fait dans les Andes et tout je peux vous le dire : c’est de la marche à pied, en fait. On y donne un nom cool mais il ne s’agit que de se balader dans la montagne. En plus t’es même pas seul : sur ton tout petit sentier dont tu dois pas sortir pour pas déflorer la nature tu croises un tas de gens à qui tu dis bonjour. Certains te répondent avec un grand sourire, content de suivre à la lettre cette vieille règle de courtoisie montagnarde, tandis que d’autres tirent la gueule et te répondent à peine, pour bien que tu comprennes qu’ils sont dégoutés de pas être tout seuls. Sur mon sentier j’ai croisé un peu de tout : des couples ; des solitaires ; des groupes ; des marcheurs pros équipés de bâtons ; des djeuns en ballade ; des campeurs ; des photographes ; des voyageurs organisés… Mais tous, ou presque, avaient le point commun d’être Français. A la fin je me faisais même plus chier à dire « Hola ! » je disais « salut » direct.
De manière générale : la France n’est pas étrangère à l’Argentine. Il y a des Renaults dans les rues ; on écoute de la musique française dans les bars ; pas mal d’Argentins parlent le Français et il y a vraiment des Français partout. Fin de la parenthèse.
Tout ça pour dire que j’ai fait du trekking dans la cordillère des Andes, quand même, en toute modestie. Je suis trop hike maintenant ! Et voici mon retour, niveau sensation, sur l’aventure de trekker en Patagonie : ce qui ressort c’est qu’au bout d’un moment, on se met à penser différemment. On pense son chemin en zones pour se repérer dans l’espèce, plutôt qu’en distance par exemple, un peu comme dans les jeux de rôle. En ce qui me concerne, si je dois raconter ma balade, je ne dirais pas « j’ai parcouru X kilomètres », mais « j’ai d’abord passé les plateaux herbeux du Chalten (zone 1) ; puis je me suis faufilé dans le sentier montagneux du mont aux cascades (zone 2) ; puis j’ai traversé le petit bois de pente-molle (zone 3) avant de m’engouffrer dans la vallée des verdures (zone 4) qui précède la vallée du bois brûlé (zone 4), toute grise et blanche, que surplombent les géants de glace à pieds verts (zone 5). Le bois de longe-rive (zone 6) m’emmena le long de la rivière jusqu’au ruisseau de cailloux (zone 7), d’où je débouchais dans le petit vallon de sables-boisés (zone 8), avant de m’engager enfin sur le chemin rocailleux de la Lune (zone 9) qui devait m’emmener jusqu’à la Laguna del Torre (zone 10) ».
La Laguna del Torre est cachée par une montagne de cailloux (c’est la zone que j’appelle « chemin rocailleux de la Lune », chemin que deux lignes de cailloux permettent de discerner). A sa gauche : un mont vert avec une rivière ; à sa droite : un mont blanc de pierre noire ; au fond : un glacier qui vient se tremper dans le lac et dessus : de mini-icebergs qui flottent comme des glaçons dans le Ricard à l’heure de l’apéro… (suis pas trop inspiré là, voyez plutôt la photo).
22km aller-retour (j’ai fini par le dire), c’était sympa comme balade, même si c’était difficile de ne pas se sentir dans les Alpes sans un peu de concentration… Les Andes… La cordillère… Je me répétais ces mots pour appeler à moi l’aventure et chasser le sentiment que j’étais à quelques kilomètres de ma maison. C’est alors qu’un type a débarqué en tirant trois caniches géants à tête de lapin… des lamas ! J’étais bien en Amérique du sud ! Un peu trop au sud pour trouver des cités d’or mais pas loin. Le type était plutôt pressé et ne s’arrêta que pour laisser ses lamas déverser 10 minutes de pisse sur mon beau sentier de trekking-hiking oh yeah. De suite t’oublie les lunettes de soleil aux reflets bariolés et les bandeaux hype dans les cheveux pour revenir à quelque chose de plus terre à terre.
– Ça va Bernard, tu te fais pas chier ? Interjetai-je au Lama, qui le prit d’ailleurs pour une suggestion…
Mais restons au niveau de la pisse : la Patagonie (enfin disons les 11km que j’ai vu de près aller-retour) c’est vraiment le pays des pissenlits ! Y en a partout qui font comme des soleils (pour les pissenlits mûrs), et des jouets pour enfants (pour les pissenlits pas mûrs) ! Et moi j’adore ça, les pissenlits, peut-être, parce que, c’est, une fleur des chemins… un peu comme moi ?
Okay ! Et donc je suis rentré à El Chalten tout courbaturé, pour m’endormir en 0 minutes chrono… Ah non, d’abord je suis allé m’acheter des fruits au supermarché (je relis mes notes désolé), et j’ai un peu fait la gueule en sortant ma carte bleue en deux fois de la poche externe trop style-trek-hike que je m’accroche à la ceinture quand je voyage, pour attirer l’œil des pickpockets et forcer l’aventure (en plus je l’ai achetée en Thaïlande, et y a écrit « Dakar » dessus, et elle a été fabriquée en Chine… un vrai truc de globe-trotter alternatif anti-mondialisation). Bref : ma carte bleue était pétée en deux : comme quoi se pencher pour boire directement à la rivière comportait un vrai risque aventuresque quoiqu’insoupçonné. Le caissier me l’a réparée au scotch, et pour l’instant elle marche, malheureusement : sans quoi la vraie aventure aurait pu commencer…
Mais qu’est-ce que la vraie aventure ? Je retourne aux sources en profitant de cet article pour nous, (vous, moi) re-re-re-reposer la question. Est-ce une aventure de :
- péter sa carte bleue en deux ;
- qui était dans une pochette externe sino-sénégalo-thai ;
- en se penchant pour boire à l’eau d’une rivière
- dans la cordillère des Andes
- et de se la faire réparer par un Argentin, tenancier d’une supérette de montagne :
- tout en plaisantant deux minutes avec lui en espagnol ?
C’est une aventure si on s’en fait une aventure dans sa tête, j’imagine. Plus je m’arrête sur cette anecdote, plus je la détaille, plus je l’allonge… plus je la raconte, plus j’en fais quelque chose à raconter en fait. Et en sus de toutes les autres définitions de l’Aventure que j’ai pu donner dans les pages de ce blog, voici la dernière: l’aventure est un événement que son auteur estime valoir la peine d’être raconté.
Et après je suis allé dormir et calmer mes courbatures. Et après je me suis réveillé. Et ce matin…
[NDN : cette aventure a lieu en novembre 2012 et je ne relis que maintenant mes notes qui sont tout en bordel, d’où le fait que l’article soit bizarrement chronologiquement découpé, d’autant que j’ai essayé de rentrer tout l’épisode en un article parce que vous vous plaignez si je fais trop de petits articles trop courts – merci de votre compréhension]
Et ce matin donc, j’ai fait un tour du côté du rocher aux condors, pour voir des condors. J’en ai aperçu un et j’aimerais vous raconter quelque chose de magnifique à ce sujet mais ce n’était guère plus qu’un point noir dans le ciel. Y avait pas de la musique dans le fond et il s’est pas mis à crier « Yihan » avec de l’écho et tout comme dans les films. Je suis quand même monté en haut du rocher (une sorte de grosse colline) pour voir si y avait moyen de l’approcher mieux, mais au bout d’une demi-heure de marche le temps s’était couvert et le condor, pas si con que ça finalement, était rentré. Moi je me tapais le vent et la pluie, ce qui me valut au moins le titre de con d’argent.
Et là je suis de nouveau dans le bus pour El Calafate où je vais passer la nuit : il y a encore des Guacanos sur le bord de la route, et des chevaux sauvages aussi, et de temps en temps une autruche. J’ai découvert l’existence des Guacanos avant de quitter El Chalten, sur une carte postale. Quel choc. Déjà que j’avais du mal à distinguer lamas et alpacas ; chèvres et moutons… alors là ! Mais il y a plus incroyable encore : le fait que, dans le même paragraphe, on soit déjà au jour suivant, celui où je me rends à l’aéroport d’El Calafate, pour prendre un vol en direction de San Juan, une ville de l’ouest Argentin, pour ce que j’en sais.
En chemin le chauffeur de taxi m’explique la signification des monticules, cabines, machines à laver, objets divers et variés – mais tous de couleur rouge – qu’on peut apercevoir sur le côté de la route : il s’agit d’un rite païen (selon lui – on est toujours le païen de quelqu’un d’autre) pour honorer certains personnages de légendes, des sortes de saints protecteurs de la culture argentine, mais qui ne seraient pas liés au christianisme, quoique compatibles avec lui. Plus au nord du pays on honore une mère morte d’avoir allaité son enfant mais ici, dans le sud de la Patagonie, les objets rouges que j’aperçois sont dédiés à « El Gauchito Jil », une sorte de Zorrobin-des-bois local qui volait les riches pour nourrir les pauvres. C’est loin d’être clair comme explication, et j’ai pas wikipédia sous la main. Mais bon, l’intérêt c’est sans aucun doute de se le faire décrire par le menu, comme un mythe obscur et mystérieux. Sans quoi la fragile magie qui entoure cette anecdote peut s’évanouir à tout instant…