Je referme la porte avec délicatesse
Et m’échappe des murs où la fête et l’alcool
m’ont entrouvert des draps légers en politesses
(pardon si certains soirs j’oublie le protocole).
La nuit, pleine au dehors, les rues abandonnées
Sont de mauvais augure… Et je peste, d’ailleurs,
En constatant perdue ma grasse matinée
(pardon si je n’ai pas l’âme du travailleur).
Lorsqu’on n’a pas d’amour pour lequel s’employer
On s’escrime aux passions. Mais Il faut reconnaître,
Feu la flamme, mes dieux, qu’il est loin le foyer !
Le jour, sur les maisons, n’est pas encore à naître.
Donc en compensation des draps et des coussins
Je prends un châle d’air tissé de courants chauds,
La marche d’un hôtel me fait un traversin
(que je n’ai pas de draps, après tout, peu me chaut),
Et les yeux vers le ciel découpé de ma ville,
Où l’étoile paresse à l’ombre des statues,
Je rêvasse, content, le sourire tranquille :
Le clocher a sonné par trois fois, puis s’est tu.
C’est alors que – aurais-je abusé du flacon? –
Je croise le regard d’un atlante de pierre
Qui tout à mes côtés soutient un lourd balcon…
Aussitôt le regard s’enfuit sous les paupières !
Je m’approche, curieux, du fabuleux colosse
pour inspecter son œil… Mais suis interrompu :
Une horde de chats poursuit un gros molosse
Dont la chaîne grinçante a juste été rompue.
De nouveau le néant impose son silence.
Appuyé contre un bac je demeure indécis,
éberlué, guettant, avecque vigilance
D’un spectre malicieux, une autre facétie.
Au lieu d’un revenant, il y a des revolvers
pétants, retentissants, qui annoncent cinq heures.
Le geste vif, précis, je vois des « hommes verts »,
pas des cow-boys martiens, mais de vrais éboueurs.
Ils s’en vont à présent tout comme ils sont venus.
je pousse un long soupir… C’est fini les surprises?
Ils laissent derrière eux la place toute nue.
Parfois l’imaginaire a sur moi trop d’emprise…
Pourtant le bassin tremble ! Il crache à ma figure
Une eau fraîche et limpide accourue des collines
Ma soif s’y épanche et ma bouche inaugure
Le flot neuf, le flot pur, le jour qui dégouline !
Comme pour annoncer le règne des fontaines,
Qu’on voit sur chaque place étendre la boisson
Des Muses et des Dieux, les oiseaux, par centaines,
Viennent en chahutant piailler à l’unisson.
***
Je vais devenir fou d’ivresse et de fatigue.
J’ai le nez romarin et mes yeux sont des figues.
qui se perdent parmi lavande et fruits séchés,
parasols et caissons : je suis sur le marché.
Il est venu à moi, tout seul, comme un ami.
Avec son lot de fleurs, de fruits, et de mamies,
et leurs cabas hutins qui poussent, qui bousculent
jusqu’à ce que, de peur, les camions reculent.
Midi, les collégiens déferlent hors des rangs
des étalages bleus, jaunes et odorants,
en traînant derrière eux leurs immenses cartables
qui vont parfois cogner les rebords d’une table.
Les dames aux cafés, d’ailleurs, ça les agace,
ces minots agités qui mâchent des fougasses
alors que, de tout temps, c’est conclu et c’est dit:
ce sont elles les Reines de l’après-midi.
Elles allongeront leurs longues jambes d’or
à l’abri de leur tasse, autel où les adorent
les messieurs pressés qui remontent le Cours :
à droite il y a la banque, à gauche les amours.
Et puis des musiciens viendront charmer les belles.
Des fleuristes de grand chemin, en ribambelle,
iront aux alentours tendre leurs embuscades,
harceler les amants de bouquets en cascade.
Le soir apportera sa fraîcheur aux platanes,
et de nouveaux bijoux aux belles Occitanes.
Enfin, les bacheliers, en processions furieuses,
animeront les bars de danses mystérieuses,
et au bout de la nuit, iront, sans protocole,
visiter la maison qui laisse entrer l’alcool.
***
Le lendemain, heureux, quoiqu’un peu chavirés,
ils s’assiéront au parc, écriront des poèmes.
Ils te diront ces jours, passés à t’admirer.
Aquae Sextiae, ils te diront qu’ils t’aiment.